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pour les contrées montagneuses et pauvres, pour le petit commerçant, ni pour le paysan. Cependant ces déshérités sont obligés de supporter leur part des charges écrasantes qu’impose l’aménagement de voies navigables dont bénéficient gratuitement, ou presque, un petit nombre d’intéressés. Cette situation est particulièrement pénible pour l’agriculteur, que l’impôt grève lourdement, et qui se voit, en outre, ruiné par l’importation étrangère dont les cours d’eau sont par excellence le véhicule.

Au point de vue financier, les inconvéniens ne sont pas moins graves. Sans doute, la dépense énorme qu’entraînerait l’exécution du projet devrait, dans la pensée du gouvernement, être équilibrée par le produit des péages à percevoir sur les nouvelles voies. Mais il est à prévoir que, si ces taxes restaient élevées, elles feraient obstacle au trafic ; si on les abaissait, comme c’est probable, elles ne pourraient pas davantage faire face aux charges d’établissement et d’entretien des canaux. C’est donc en définitive le contribuable qui paierait.

Il paierait même deux fois, car les canaux construits feraient, grâce à cette subvention, une concurrence funeste aux chemins de fer, qui non seulement supportent, eux, toutes leurs charges, mais encore constituent un élément de recettes important pour le budget de l’Etat. Il est difficile de trouver raisonnable une politique qui consisterait ainsi à se concurrencer soi-même, quelles que soient les raisons mises en avant pour la justifier.

Mais ces raisons n’ont elles-mêmes que la valeur d’un sophisme. Sans parler de l’insuffisance prétendue des chemins de fer, à laquelle il serait en tout cas facile de remédier plus sûrement et à bien moins de frais que par la création de canaux, la plus répandue et aussi la plus fausse de ces raisons est la soi-disant économie de frais de transport que les voies navigables offrent par rapport aux voies ferrées. Une pareille erreur n’a pu être entretenue et passer presque à l’état d’axiome que grâce à une équivoque, qui disparaîtrait le jour où les transports par eau supporteraient, comme ceux des chemins de fer, toutes les charges d’établissement, d’administration et d’entretien qui leur incombent.

Dans ces conditions, et conformément aux principes posés par M. Sympher et par l’ancien ministre des Finances, M. de Miquel, il n’est pas justifié de construire des canaux sur un parcours déjà suffisamment desservi par des voies ferrées,