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diffusion de la machine à écrire ; mais rien ne vaut la calligraphie en belle ronde, dont trois ou quatre maisons sérieuses se font honneur, chacune copiant en moyenne 2 000 actes par an. La besogne est payée 5 francs à l’entrepreneur, qui emploie une dizaine de « belles mains, » dont les plus laborieuses n’abattent pas plus d’un acte par jour. Il faut une certaine habitude pour tenir compte des indications, distinguer les vers de la prose, et ne pas attribuer au dialogue ce qui appartient aux jeux de scène.

Alors commence pour le débutant, qui n’est attendu nulle part et ne sait où frapper, la tournée des directeurs ou simplement des concierges de théâtre. Il est présenté aux Français 250 à 300 pièces par an ; elles passent d’abord sous les yeux des deux « lecteurs, » dont les rapports, en général, ne sauraient être taxés de sévérité. S’ils sont favorables, ou si l’auteur, ayant été représenté antérieurement à la Comédie-Française, est par là même dispensé des formalités de l’examen préliminaire, la pièce était, jusqu’à la suppression récente de cet organisme, soumise au comité de lecture. L’administrateur jouissait du droit de reprendre, comme bon lui semblait, toute pièce qui avait été jouée dans la maison, ne fût-ce qu’un soir ; mais il ne pouvait, de son autorité privée, admettre aucune œuvre nouvelle.

Ce n’est pas au reste que les comédiens aient été accusés d’exclusivisme ; ils auraient plutôt péché par excès d’indulgence, plus portés à recevoir une mauvaise pièce qu’à en refuser une bonne. Sauf des exceptions assez rares, parmi lesquelles on cite l’Honneur et l’Argent, et, plus près de nous, Pour la Couronne et le Chemineau, il n’y a guère d’exemples d’ouvrages refusés aux Français qui aient réussi ailleurs. Les jeunes auteurs y sont volontiers accueillis : MM. Edmond Rostand et Henri Lavedan y ont tous deux fait leurs débuts, et l’on ne saurait reprocher à la maison de Molière d’avoir laissé échapper Cyrano de Bergerac, qui ne lui fut point offert.

De fait, le choix des pièces est ici plus difficile qu’ailleurs, par une inconséquence de l’opinion courante : sous prétexte qu’aux Français, ce ne sont pas seulement les spectateurs, mais aussi les bustes qui écoutent, lorsqu’il s’y donne des pièces trop gaies, chacun crie au vaudeville, et chacun se plaint de l’ennui, lorsqu’il s’y voit des pièces trop graves. L’alternance des représentations exige aussi de l’administrateur une constante diplomatie, parce qu’il lui faut établir un roulement entre des dramaturges