Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 7.djvu/52

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
I

Aux siècles passés, il n’existait d’autre propriété littéraire que celle des manuscrits. Sitôt publiée, tous les théâtres pouvaient s’emparer de la pièce sans rien payer à l’auteur. Celui-ci traitait de son œuvre inédite, tantôt pour un prix fixe, — Racine vendit Andromaque pour 1 000 francs de notre monnaie actuelle et Bérénice pour 2 000, — tantôt moyennant une redevance modique pour chaque représentation, dont la perception n’était jamais de longue durée.

A la Comédie-Française, le chiffre de cette redevance était invariable, tant que les recettes atteignaient un quantum déterminé ; descendaient-elles au-dessous, ne fût-ce qu’un jour, l’ouvrage tombait dans ce qu’on appelait « les règles, » et l’auteur en était dépossédé à perpétuité. Encore ce contrat usuel, dont les Rivales de Quinault, en 1653, avaient fourni le type original, était-il tout à fait facultatif ; de sorte qu’un certain nombre d’auteurs n’en avaient pas le bénéfice. Quant aux théâtres de province, il va de soi qu’ils ne payaient rien.

Telle était la situation à la fin de l’ancien régime. Pour le Barbier de Séville, en 1777, après trente-deux représentations, les comédiens avaient offert 4500 livres à Beaumarchais. Mais celui-ci, qui, sur les questions d’argent, n’était pas toujours de composition facile, refusa et, d’après le conseil du maréchal duc de Duras, provoqua une réunion de ses confrères. Une commission de défense fut constituée, dont firent partie Sedaine et Marmontel et dont Beaumarchais demeura lame. Il déploya dans cette lutte une énergie persévérante. « Au foyer des théâtres, disait-il en un de ses nombreux mémoires contre les comédiens, on prétend qu’il n’est pas noble aux auteurs de plaider pour le vil intérêt, eux qui se piquent de prétendre à la gloire ; on a raison, la gloire est attrayante ; mais on oublie que, pour en jouir seulement une année, la nature nous condamne à dîner 365 fois ; et si le guerrier, le magistrat, ne rougissent pas de recueillir le noble salaire dû à leurs services, pourquoi l’amant des Muses, incessamment obligé de compter avec son boulanger, négligerait-il de compter avec les comédiens ? »

La persévérance de Beaumarchais ne fut pas immédiatement récompensée ; deux arrêts du Conseil lui accordèrent quelques