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entrer dans l’Alliance la puissance qui, dans ce siècle, a été le plus souvent battue, le plus cruellement démembrée, c’est-à-dire l’Autriche ; puis la plus jeune et la plus portée à l’espérance de toutes, celle qui a dû davantage à la Révolution, celle dont les aspirations étaient le moins réalisées, c’est-à-dire l’Italie. Il est vrai qu’on a dit à l’Italie qu’elle se donnait ainsi une garantie contre les reprises possibles de l’Autriche, et à l’Autriche qu’elles s’en assurait une contre les velléités irrédentistes de l’Italie. Tout cela se passait sous l’égide suprême de l’Allemagne, qui, n’ayant plus rien à demander ou à prendre à personne, intéressait les autres à la défense du lot qu’elle s’était adjugé. Conservation pour elle, abstinence pour les autres : c’est la merveille de l’art.

Après quelques vingt ans de Triple Alliance, l’effet poursuivi a été atteint. La prodigieuse fortune de l’Allemagne s’est trouvée définitivement consolidée. L’Autriche a pratiqué consciencieusement l’art d’accommoder les restes, et s’est résignée à devenir le fil conducteur du germanisme vers l’Orient. Quant à l’Italie, ses impatiences se sont peu à peu assoupies : il le fallait pour garantir l’intérêt supérieur de la paix, dont l’Allemagne avait besoin. Pendant ce temps, une évolution s’est faite dans la politique de la plupart des grandes puissances, évolution très importante dont M. de Bulow a parlé avec un contentement marqué. Parlant de l’origine de la Triple Alliance en 1879, lorsqu’avaient lieu les pourparlers décisifs entre le prince de Bismarck et le comte Andrassy, il a rappelé qu’il ne s’agissait à ce moment, et qu’il ne s’est encore agi pendant quelques années, que de politique européenne. « Les combinaisons d’alors ne dépassaient pas la Méditerranée. Mais aujourd’hui, a-t-il dit, la politique de toutes les grandes puissances, — et je crois qu’il n’y a jamais eu dans l’histoire une époque où il y a eu tant de grands empires existant à la fois, — consiste, si je puis m’exprimer ainsi, dans la politique du contrepoids, qui, par sa nature et sans arrangemens spéciaux, agit en vue du maintien de la paix universelle. » Ainsi le même but peut être atteint par d’autres moyens. Et pourquoi cela ? D’abord, a expliqué le chancelier de l’Empire, parce que personne désormais ne peut douter des sentimens pacifiques de l’Allemagne, et que personne, par conséquent, n’a de précautions particulières à prendre contre un esprit de conquête auquel on ne croit plus de sa part. Ensuite, parce que « la politique du monde s’étend à des points très éloignés des frontières de l’Allemagne, par exemple sur la côte nord de l’Afrique, en Perse, e » Extrême-Orient. » Cette politique coloniale, qui est devenue une