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dans son discours au Reichstag, qu’à ce moment, le danger d’une grande guerre européenne était beaucoup plus à redouter qu’aujourd’hui. L’Italie a calculé à sa manière quelles pouvaient être les chances des diverses puissances en cas de conflagration générale, et elle a pris ses résolutions en conséquence. Mais la guerre n’a pas éclaté, et, comme l’a reconnu M. de Bulow, elle est maintenant plus improbable que jamais. Dès lors, les préoccupations qui devaient s’imposer aux diverses puissances ne sont plus les mêmes qu’autrefois. D’autre part, l’Italie a pu se convaincre que nos sentimens pour elle, loin d’être hostiles, étaient sincèrement amicaux. Il ne nous a rien coûté de lui en donner des preuves : la première a été la reprise entre les deux pays de relations commerciales normales.

À partir de ce moment, les malentendus ont commencé à se dissiper. Il en restait pourtant encore quelques-uns entre nous, et le plus grave de tous tenait à la crainte qu’avait l’Italie de trouver la France sur son chemin dans son expansion méditerranéenne. Ne l’y avait-elle pas rencontrée une première fois, il y a une vingtaine d’années, lorsqu’elle avait rêvé de s’établir en Tunisie et que nous l’avions gagnée de vitesse ? Ce souvenir est resté pénible pour elle, et on a pris soin, au dehors, qu’il ne sortit pas de sa mémoire. Aujourd’hui, ces événemens apparaissent dans un recul historique qui permet de les mieux juger, et l’Italie le fait avec plus d’équité. Il suffit de jeter les yeux sur une carte pour voir que la Tunisie fait géographiquement partie de l’Algérie ; elle est le prolongement de la province de Constantine ; toutes les montagnes qui courent parallèlement à la mer forment en quelque sorte des couloirs qui conduisent d’un pays dans l’autre, ou plutôt qui font de l’un et de l’autre un même pays. La politique de la France était donc dictée par un intérêt très puissant. Et cependant, nous avons hésité à mettre la main sur la Régence. Pourquoi ? Parce que nous prévoyions ce qui est arrivé, c’est-à-dire l’amer mécontentement de l’Italie, et que nous désirions rester en bonne intelligence avec elle. Qui nous a invités, incités, excités à passer outre et à nous établir à Tunis ? On sait parfaitement à Rome que c’est M. de Bismarck. Sa politique consistait alors, pour rapprocher plus intimement l’Italie de l’Allemagne, à la brouiller avec la France. Il avait trouvé dans la Tunisie la pomme de discorde dont il avait besoin. Au fond, il lui importait peu qu’elle fût prise par la France ou par l’Italie, pourvu qu’elle fût prise par l’une des deux. Le résultat, en effet, devait être le même au point de vue de la mésintelligence qui s’ensuivrait entre Rome et Paris. Il encourageait donc la France à s’emparer de la