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foyer. Admirable est ici la mélodie : admirable de puissance et de pureté : admirable de rythme, car le rythme est peut-être, en tout cet acte, l’élément ou le facteur essentiel de la beauté ; admirable de tonalité : la tonique et la dominante servant de pivot ou d’e charnière à la sublime chanson. Elle se divise en strophes, et cela seul flatte et ravive l’esprit classique qui ne veut pas mourir en nous. Quand Wagner brise les vieilles lois qui nous tiennent encore au cœur, nous admirons, malgré tout, le génie qui crée un idéal nouveau. Nous l’admirons peut-être davantage quand, au lieu de contredire à l’ancien idéal, il le confirme, l’accroît et le renouvelle. Sans doute, en de pareils momens, l’apport de Wagner est colossal. Il pousse, il lance une seconde strophe au-dessus de la première et la couronne de triolets de fou. Jamais surtout nul orchestre avant celui-là n’a redoublé, centuplé par un semblable effort l’énergie et la beauté de la voix. Mais cette beauté n’en est point écrasée. Classique encore une fois est l’eurythmie de ces couplets gigantesques. Une telle musique va si loin, si haut, qu’il semble qu’elle n’ait pas de bornes : on ne saurait du moins prétendre qu’elle n’a pas de bases, tant elle est appuyée et d’aplomb. Chef-d’œuvre jusqu’alors inouï, le chant de la forge n’est pas la ruine de chefs-d’œuvre déjà entendus : il en est bien plutôt la consommation et l’apothéose.

On ne sait plus que dire, et pourtant de la fin de cet acte il y aurait à dire encore. Au premier chant de la forge, un autre succède : l’idée, le mouvement, le rythme, les timbres s’y renouvellent, et le sentiment, la passion, la vie s’y accroissent. Vous n’ignorez pas à quel paroxysme arrivent certaines péroraisons de Wagner. Celle-ci compte parmi les plus entraînantes. Toutes les puissances qui s’étaient jusqu’ici déployées se rassemblent et font masse ; toute la matière en fusion jaillit d’une seule coulée. La musique entière, symphonie et chant, s’aiguise et brûle comme la pointe ardente de l’épée elle-même. L’orchestre, la voix, lancent des éclairs et comme des fusées : l’une d’elles surtout, — l’un de ces gruppetti chers à Wagner, imprévu, mais adorable de grâce et de jeunesse, — est jetée par Siegfried brandissant le glaive, avec une élégance héroïque. Goethe a parlé quelque part de la « tempête de l’action. » On pourrait définir la fin du premier acte de Siegfried : une tempête de joie.

Au second acte, quelle joie encore ! apaisée et sereine, songeuse, et çà et là tempérée de mélancolie, comme était, dit-on, celle d’Apollon après la victoire ; mais cependant, mais toujours, quelle joie ! Le monologue de Siegfried à l’ombre du tilleul et son dialogue avec l’oi-