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faire. Il a beaucoup amusé les gens de son temps. Notons en passant qu’il amuse beaucoup moins ceux du nôtre. Son théâtre est presque entièrement devenu injouable. On remontait assez souvent ses pièces pendant les dernières années de la vie de Dumas fils : à la reprise d’Antony, à l’Odéon, J.-J. Weiss fut obligé de constater que la salle s’ennuyait ; la reprise d’Henri III et sa Cour, à la Comédie-Française, fut lamentable et ne servit qu’à faire ressortir la pauvreté de l’ouvrage. Il reste la Tour de Nesle qui gardera sa place sur les théâtres du boulevard, comme type de mélodrame, entre le Bossu et le Courrier de Lyon, et sur le même rang. Les romans de Dumas, qui, paraît-il, font encore prime sur le marché des livres, bénéficient de cette circonstance que les conteurs d’aujourd’hui manquent cruellement de ce fameux don d’invention, et qu’ils sont souvent ennuyeux ; encore est-il bon, si l’on veut se plaire à la lecture des Trois Mousquetaires ou de Monte-Cristo, de ne pas attendre qu’on ait dépassé la quinzième année. Mais, si Dumas a été cet amuseur que nul ne se refuse à vanter en lui, c’est une gloire qui peut lui suffire sans qu’il y ait besoin d’en réclamer pour lui aucune autre. « Je te baptise carpe, » prononce dom Gorenflot, tu étendant la main sur un magnifique faisan. Il est plus difficile de baptiser Dumas écrivain. Une collection des « grands écrivains français » qui l’accueille, compromet son titre. Un critique qui prend pour lui feu et flamme, y perd inutilement sa peine et dépense en vain sa fantaisie. Dumas a connu d’assez grands succès de popularité pour qu’il n’ait que faire de récolter en outre notre estime. Mais nous sommes, vis-à-vis des maîtres de notre littérature, tenus à des devoirs de respect et à des égards : ce serait y manquer que de leur imposer la compagnie de l’auteur de la Tour de Nesle et du père de d’Artagnan.


RENE DOUMIC.