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chacun n’aurait d’autre règle que sa fantaisie. Cependant ce besoin d’affranchissement était contrarié, chez les plus clairvoyans, par un juste sentiment des conditions de l’art. Ils se rendaient compte que l’art ne saurait exister sans des limites qui le déterminent et que sa définition même est contradictoire avec celle de l’absolue liberté. Ils hésitaient. Il fallait, pour les aider à franchir le pas et à faire le saut, un homme rebelle à toutes les timidités… Dumas fut celui qui n’hésitait pas.

Il est exact qu’Henri III et sa Cour marque une date de notre histoire littéraire : c’est celle où, sous le nom de drame historique, le mélodrame s’installe sur notre scène aux lieu et place de la tragédie agonisante. Voilà bien où nous attend M. Parigot. « Ici, écrit-il, un humaniste hausse les épaules, ouvre la main, étend les doigts et dit : l’histoire ne s’abaisse point à ces péripéties de mélodrame. Dumas, qui la viole, n’a d’elle que des bâtards. Il la fourvoie en des imbroglios indignes. Mélodrame, vous dis-je, mélodrame ! Il est vrai que mélodrame est une injure fort à la mode ( ? ) et un argument qui vaut tarte à la crème. » Mais, au contraire, c’est un mot qui dit fort bien ce qu’il veut dire, et tous ceux qui s’en servent y entendent les mêmes choses. Le genre consiste essentiellement à remplacer l’analyse des sentimens par l’invention des circonstances les plus romanesques. Exemple : on a fait maintes fois la tragédie de l’ambition ; mais voulez-vous en voir le mélodrame ? Supposons donc qu’une jeune fille de l’aristocratie s’est éprise du bourreau, qu’une chaise de poste s’arrête sous les fenêtres d’un docteur, et que le docteur reçoit d’un homme masqué le soin d’élever l’enfant du mystère. L’enfant devient un homme, se marie par intérêt, veut se rendre libre et jette donc sa femme par la fenêtre. À ce moment, surgit un inconnu : c’est son père et c’est le bourreau ! Voilà ce que s’engagent à admirer les admirateurs de Richard Darlington. — Le mélodrame vit de l’absurdité, comme la tragédie vivait de la logique. Car il se peut bien qu’il y ait toujours dans la destinée de chacun de nous beaucoup d’inexpliqué et que l’imprévu y joue son rôle : cependant, nous restons convaincus que nous en sommes en partie les maîtres et qu’il y a un lien entre nos sentimens, nos actes et notre fortune. Dans le mélodrame, tout est remis au hasard, et le jeu) des passions est remplacé par celui des portes, fenêtres, chausse-trapes, déguisemens et manteaux couleur de muraille. — Le spectacle de la souffrance physique s’y substitue à l’angoisse morale : la duchesse de Guise crie sous l’étreinte du gantelet de fer qui lui meurtrit le