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l’armée de l’Empire, doivent se rendre à Berlin ; cette ville ressemblera à Alexandrie du 12e tome de Cléopâtre.

« Si vous voulés m’adresser un exemplaire de votre histoire de Pierre Ier pour le Roi, je crois que Sa Majesté le recevra avec plaisir.

« Je vous protégerai auprès de Dargental ; cette négociation sera bien difficile ; je suis dans le cas de n’en pas faire d’autres, surtout depuis que j’ai appris que nous avions perdu Montréal et par conséquent tout le Canada. Si vous comptiés sur nous pour les fourures de cet hyver, je vous avertis que c’est en Angleterre qu’il faut vous adresser. Adieu, mon cher Solitaire. »


Décidément la lettre de Frédéric au marquis d’Argens avait atteint son but, si, comme l’en accuse Choiseul, elle n’était qu’une habile manœuvre pour discréditer le ministre auprès des Cours d’Europe. Frédéric l’avait fait circuler en nombreux exemplaires et il avait poussé l’impertinence jusqu’à ne la désavouer qu’à demi, lorsque Voltaire lui en avait adressé, de la part du Duc, des représentations. « Je ne sais, avait-il répondu, quelle lettre on a pu intercepter, que j’écrivais au marquis d’Argens ; il se peut qu’elle soit de moi, peut-être a-t-elle été fabriquée à-Vienne. Je ne connais le duc de Choiseul ni d’Eve ni d’Adam. Peu m’importe qu’il ait des sentimens pacifiques ou guerriers. S’il aime la paix, pourquoi ne la fait-il pas ? »

Ces nouveaux sarcasmes et la lettre de déconsidération qu’ils confirment en essayant à peine d’en atténuer l’effet, avaient touché Choiseul au vif, et l’air d’indifférence forcée qu’il affecte, dans la lettre suivante, prouve combien son dépit est sensible.


A Versailles, ce 19 (novembre 1760).

« Luc est l’homme du monde le plus extraordinaire ; d’après la lettre que je vous ai écrite sur celle que l’on lui attribuait, adressée au marquis d’Argens, la Cour de Pétersbourg m’a dépêché un courier pour m’apporter l’original de cette lettre ; elle est de l’écriture de son secrétaire ; ainsi il n’y a pas de doute sur l’autenticité. Vraisemblablement, Luc a écrit cette lettre dont il a eu l’adresse d’envoyer plusieurs copies en France pour faire crier contre moi ici sur la répugnance qu’il me suppose pour la paix. Les Cours impériales, de leur côté, me l’ont adressée chacune séparément avec une paraphrase pour maigrir contre Luc. L’un et l’autre ont manques leur projet, je ne vois, en honneur