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un grand effort, comptaient deux cent mille Autrichiens, Russes et Impériaux et cent vingt mille Français. Six corps d’armée se trouvaient en présence. Un des corps prussiens, celui du général Fouquet, fut défait à Landshut par le général autrichien Laudhon dès l’ouverture des hostilités, et ce fut le commencement d’une suite de monotones carnages, semblables à ceux des campagnes précédentes.

Au cours de ces alternatives, Voltaire avait changé de langage. Il comprenait que la paix ne pouvait plus sortir que d’un succès décisif, qui l’imposerait à la fureur de guerre à outrance dont était animé Frédéric, et dans ce sens, il écrit coup sur coup à d’Argental : « Je vous en prie, dites à M. le duc de Choiseul qu’il ne doit faire la paix qu’après une campagne triomphante. Je vous conjure de vous servir de toute votre éloquence pour lui dire que, s’il arrive malheur à Luc, il n’en résultera pas malheur à la France… Nota bene : que si Luc était déconfit cette année, nous aurions la paix l’hiver prochain. »

Mais il était écrit que Luc ne serait pas déconfit. S’il ne devait rien gagner, du moins il devait maintenir l’indépendance de ses armes, et, avant même la fin des hostilités, on allait reparler d’une nouvelle campagne. En présence de ces résultats incertains et devant l’avenir plus incertain encore, Choiseul laisse voir le doute et le souci que lui cause la fausse politique dans laquelle ses complaisances de courtisan l’ont engagé :


A Versailles, ce 13 juillet (1760).

« Si Luc était un autre homme et qu’avec ses talens, il eut quelques vertus, par exemple les plus communes, je crois que la politique devrait désirer qu’il ne fût pas anéanti, non seulement pour l’équilibre d’Allemagne, mais même pour celui du Nord ; et je pense que la puissance prussienne, bien conduite, était très bien imaginée pour un système pacifique, sage et juste ; je pense qu’il était plus avantageux à la France que la Prusse tînt la balance de religion que l’Angleterre dans l’Empire, depuis que la faiblesse des Suédois a contrainte la Suède à abandonner efficacement le rôle qu’elle s’était acquise en Allemagne par le traité de Westphalie ; car l’alliance de la France et de la Prusse était une pièce mise selon les circonstances, au traité de Westphalie qui était très bien imaginée, et je vous avoue que j’étais partisan du système que nous suivions avant cette guerre, parce