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pouvait retomber sur lui, et, malgré le désir formel que lui marquait Choiseul, il tint secrète la lettre précédente, qui avait été écrite pour être communiquée. Sa mauvaise humeur passée, Choiseul le félicita de cette prudente réserve :


A Versailles, ce 16 juin (1760).

« Vous êtes plus sage que moi et vous avés raison, car, si c’est bien fait de n’être pas sage, il ne sied pas mal quelquefois de l’être. Tout bien considéré, il vaut mieux ne pas répondre aux injures, je crois que c’est la guerre des gens de lettres et des Philosophes qui avait échauffé ma tête sur les grossièretés de Luc. Restons-en là et contentons-nous, chacun pour notre rôle, de ne le point craindre quand il pourfendrait tous les Autrichiens, et de le mépriser quand il se battra sans esprit et sans talens avec des injures… »


D’ailleurs, l’attitude présente de Frédéric n’était pas faite pour encourager de telles audaces. Il avait assez mal reçu en effet les dernières avances de Voltaire, ainsi qu’en témoigne cette lettre datée de Radebourg, 21 juin 1760 : « Vous me parlez toujours de la paix, lui dit-il ; j’ai fait tout ce que j’ai pu pour la ménager entre la France et l’Angleterre à mon inclusion. Les Français ont voulu me jouer et je les plante là ; cela est tout simple. Je ne ferai point de paix sans les Anglais, et ceux-là n’en feront point sans moi. Je me ferais plutôt châtrer que de prononcer encore la syllabe de paix à vos Français. Qu’est-ce que signifie cet air pacifique que votre Duc affecte vis-à-vis de moi ? Vous ajoutez qu’il ne peut pas agir selon sa façon de penser. Que m’importe cette façon de penser, s’il n’a point le libre arbitre de se conduire en conséquence ? »

La façon de penser du duc de Choiseul, son idée maîtresse depuis son entrée au ministère, tenait en ces deux lignes : combattre l’Angleterre et la vaincre ; garder l’indépendance de la Prusse et se garantir ainsi des visées ambitieuses des Cours autrichienne et russe. L’orgueil de la Pompadour, le désir de plaire à cette véritable reine, avaient engagé le ministre dans un courant contraire à ces idées et funeste à la France.

Pourtant la situation semblait s’améliorer. Au commencement de la campagne de 1760, Frédéric se trouvait réduit à cent mille soldats, alors que les Cours alliées, qui s’étaient résolues à