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infiniment mieux que les terres ; j’ai vendu une partie des miennes pour en acquérir, je m’en trouve bien. Au contraire, si vous pouvés être averti quelques mois avant la paix, troqués vos vaches contre du papier et vous ferés un marché excellent.

« Les Anglais ne garderont pas le Canada ; je vous demande en grâce de ne pas juger la pièce avant d’avoir vu le dénouement ; peut-être ne sommes-nous qu’au troisième acte. La catastrophe a été fâcheuse ; mais je vous prépare un cinquième acte où la vertu sera récompensée ; si elle ne l’est pas, j’aurai tort et je permets que le public impatient me siffle ; si elle l’est, son impatience doit me faire un mérite, car elle ne change rien sur mes déterminations. Je ne vous parle plus de Fréron ; j’attends Médine avec impatience, je vous aime, mon cher Solitaire, de tout mon cœur.

« Mme de Pompadour me charge de vous dire mille choses de sa part. »


Voltaire ne partageait nullement l’opinion favorable du duc de Choiseul relativement, aux bons du trésor français, qui du reste devenaient de jour en jour d’un rendement plus aléatoire. Aux exigences de la campagne nouvelle venait s’ajouter la perte presque totale du Canada. Cette colonie avait été envahie par les Anglais en 1759. Malgré l’appel des colons, qui suppliaient la métropole de leur envoyer des secours, le ministère n’avait répondu que par des encouragemens moraux qui masquaient une intention bien arrêtée d’inaction complète. Désespérés, mais non encore abattus, les héroïques défenseurs du Canada, réduits à leurs seules forces, étaient venus attaquer Québec au mois d’avril 1760 ; toujours confians dans les secours attendus de France, ils entreprirent un siège. A la date où Choiseul, annonçant à Voltaire un cinquième acte, comptait pour le dénouement sur le courage de ces quelques milliers d’hommes qui se défendaient si bien et qu’il aidait si peu, les Canadiens étaient encore aux prises avec les Anglais ; mais, ceux-ci se trouvant maîtres presque absolus des mers, un faible convoi n’aurait pas réussi à s’ouvrir une route ; on ne pouvait en envoyer un grand ; les Canadiens durent capituler. C’était la preuve de notre épuisement. Voltaire ne jugea pas le moment opportun pour aggraver la situation en envenimant les vieilles rivalités. Il ne se souciait pas non plus de raviver les colères de Frédéric dont quelque éclat