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rhumatisme goutteux sur tout le corps qui le fait souffrir et jurer outre mesure, il se fait choier, retourner et servir par une espèce de gouvernante fort dévote, et dont les oreilles souffrent autant que le corps du Chevalier ; cette femme a imaginé, à part elle, de faire une neuvaine à Sainte Geneviève pour son malade, et de frotter une de ses chemises sur la châsse de la Sainte ; la neuvaine faite, la chemise frottée, elle l’a endossée sur le corps du Chevalier qui ne se doutait pas de la sainteté de sa chemise, mais qui par hazard a été soulage ce jour là de ses maux et a marché ; alors la gouvernante, le voyant infiniment mieux, s’est jettée à ses genoux devant lui et a criée au miracle : Courton a cru qu’elle devenait folle ; à l’instant elle lui a conté ce qu’elle avait faite ; le Chevalier en a ri et juré, il en a été puni, l’effet du miracle s’est dissipé par les plaisanteries du malade, et la goutte est revenue plus forte que jamais ; ce qui prouve qu’il ne faut pas se mocquer de sa gouvernante quand elle fait pour notre bien de bonnes œuvres.

« Cette apologue, très bonne à mettre en vers, me conduit à vous dire que Luc est bien mal informé quand il a pensé que j’étais dans le cas d’être chassé de ma place ; depuis que j’y suis, je vous assure que j’apperçois les nuances de sang froid et que je n’en ai pas vu une qui me fût défavorable ; mais, si Luc veut me procurer ma liberté à cet égard sans me faire manquer à mes devoirs et à mon sentiment pour mon Maître, vous pouvés l’assurer que je ferai tous les samedis une messe à Sainte Geneviève pour le repos de son âme et de son corps pendant sa vie, et que je lui promets qu’instruit par l’exemple de Courton, quand je serai dehors d’ici, je ne me mocquerai, ne me plaindrai, ni ne serai fâché un instant de l’objet de ma dévotion à la Patronne de Paris, Je m’en rapporte à ma dernière lettre, je ne voudrais pas être roi de Prusse, jugés si je me soucie d’être secrétaire d’Etat ; non, ma foi, je ne voudrai pas régner à Berlin et quitter les avantages que je trouve ici dans la vie privée. Au reste écrives, je vous prie, à Luc que j’ai apris qu’il pensait ou voulait faire croire que j’étais capable de tromper ; il me connaît bien mal ; par amour propre, je tâche de me préserver des paneaux que l’on voudrait tendre à la France, mais, par le même amour propre, je crois fermement que le Roi est trop grand pour se servir des petits moyens, ainsi que moi pour les lui conseiller. Je vous en confierai une preuve qui ne vous paraîtra pas