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les œuvres du Philosophe de Sans-Souci, sans goût, sans vers, etc., hors ceux qui sont pillés. Je vous avoue que véritablement ce serait un tour, car je n’ai jamais rien lu de si ennuyeux.

« Au reste, votre réponse à la lettre de Luc est charmante, excepté ce que vous dites de moi, qui n’est pas juste et que je ne mérite point. Je crois qu’il n’y a pas de mal que vous continitiés le commerce ; nous aurons le plaisir de voir de tems en tems comment un Roi chante dans la rue des impertinences quand il a peur ; mais prenés garde de ne rien mettre dans vos lettres qui puisse être communiqué ; car j’ai des certitudes phisiques que cet honnête homme de Luc fait une gazette des confidences les plus intimes qu’il cherche à se procurer. Il faut prendre son parti ; nous n’embellirons pas ce naturel pervers ; mais, qu’il aboyé, morde ou lèche, il faut suivre son système, faire le bien et même le sien dès que l’occasion s’en présentera, sans humeur de notre part, mais avec honneur.

« Mme de Pompadour vous aime de tout son cœur, elle le dit sans cesse ; je suis cause qu’elle ni » vous a pas répondue parce que j’ai oublié de lui rendre la lettre que vous lui avés écrite[1]. L’on m’a montré une Médine dont je suis enchanté ; j’aime mieux cette femme que toutes celles que j’ai aimé ; la chère épouse du héros n’est pas mal, mais le mari, Dieu me pardonne, est un peu trop blafard. En tout, les premiers actes et le cinquième m’enchantent ; les deux autres seront bien au milieu, J’ai vu aussi deux chants de la Pucelle ; je les ai trouvé si jolis que je les viens de prêter à ma femme. Allons, je perds mon tems à bavarder avec vous ; l’écriture et la mauvaise diction de cette lettre vous mettront à la torture. Mon amitié tendre et véritable pour vous obtiendra mon pardon. »

Bien que le ton familier de son badinage pût donner le change sur ses préoccupations, Choiseul voyait grandir ses embarras. Ennemi de tous les soucis, il pouvait donc être sincère en affirmant qu’il ne tenait que médiocrement à sa place de ministre.


A Choisy, ce 8 mai 1760.

« Connaissés-vous, mon cher Solitaire, le chevalier de Courton ? C’est l’homme le plus violent, et malheureusement pour son âme le moins croyant aux miracles que je connaisse. Il a un

  1. Cette lettre est inconnue.