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produira rien à Luc, mais elle me donne une leçon vis-à-vis de lui dont je me souviendrai. Cet homme ne sait peut-être pas que j’ai la réputation d’avoir eu de l’ambition et que je n’en ai pas l’ombre, que je hais les affaires à mort, que j’aime mon plaisir comme si j’avais vingt ans, que je m’embarrasse fort peu de l’argent, et que la fortune la plus médiocre qui me ferait vivre me serait suffisante ; que je crois, sûrement par sottise et par hauteur, qu’hors à mon maître, quand j’ai fait la révérance à un souverain, je lui ai rendu tout ce que je lui dois ; que je ne suis point étourdi ni par la gloire, ni par la chute des rois, et qu’enfin j’aime plus que tout la société, la bonne foi et la douceur, et quand on m’a manqué une fois, Luc serait-il cent fois plus grand qu’il n’est et qu’il ne sera, on manquera peut-être au Roi mon maître, mais on n’attrapera plus son ministre.

« La Russie n’a pas manqué de nous faire passer les soupçons obligeans que l’on lui avait donnés contre nous ; l’éclaircissement a été aussi un peu prompt, car nous ne sommes pas en guerre contre le roi de Prusse et par conséquent ne pouvons pas traiter avec lui d’une paix particulière ; ce sont ses ennemis ou ses alliés qui peuvent faire sa paix, mais ce n’est pas nous, et, à moins qu’il n’ait un acharnement décidé contre la France, il a grand tort de chercher à nuire à notre réputation en semant des soupçons.

« A bon entendeur salut. Si vous vous serves de quelque phrase de cette lettre, vous les copierés et les ajouterés, mais surtout en disant que je vous ai grondé et que je suis de mauvaise humeur de ce qui est arrivé en Russie ; ce qui effectivement est vilain en pure perte.

« Si vous croyés pouvoir mander à Luc que vous m’avés envoyé sa lettre ostensible du 18[1], mandés lui que je vous réponds affirmativement qu’il n’est pas plus question des Pays-Bas pour l’Infant D. Philippe que de la Champagne pour le Mogol ; il a les nouvelles des anciens rêves, si il pense que l’on songe encore à ces déplacemens ridicules. La France est raisonnable vis-à-vis de l’Angleterre, qui ne doit pas prendre un ton si peu modéré ; car, malgré ces victoires, nous soutiendrons la guerre encore plus longtemps qu’elle, il est vrai que ce serait avec le malheur de ne pas faire le carême commodément, mais Notre

  1. Nous n’avons pu trouver cette lettre.