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rompirent et se mirent en déroute complète. De l’aveu de Frédéric lui-même, si les Musses avaient su profiter de la victoire, la Prusse était perdue ce jour-là. Il n’en fut rien ; les alliés trop affaiblis ne songèrent qu’à pourvoir à leur propre sureté. Un instant, Frédéric avait craint d’être réduit à la nécessité de subir, comme après la capitulation de Closterseven, la honte d’inutiles propositions de paix.

On connait la lettre qu’il avait écrite alors au maréchal de Richelieu[1], lettre assez humble à laquelle l’ait allusion Choiseul ; Richelieu, n’ayant pas d’ordres de sa Cour, n’avait pu répondre que par une fin de non-recevoir. Or, Voltaire avait quelque raison de se considérer comme ayant une part dans cet échec ; prenant sur lui de tenter une entremise, il avait écrit à la sœur de Frédéric pour qu’elle engageât ce prince à solliciter l’intervention du maréchal de Richelieu, puis à celui-ci pour l’instruire de la démarche probable et pour le convier à couronner sa gloire de guerrier par les lauriers du pacificateur. Sa tentative n’avait abouti qu’à la confusion du roi de Prusse ; pourtant il ne se laissait pas décourager par le souvenir de ce premier insuccès, et ce qu’il n’avait pu mener à bien en 1757, il le recommençait en 1759, en s’appuyant cette fois sur le bon vouloir du ministère français. Il entretenait alors un commerce actif de paquets avec Frédéric, qui s’appelle pour la circonstance le banquier de Leipsick et dont les ennemis sont désignés sous le sobriquet de créanciers ; commerce à double partie, les paquets littéraires étant adressés directement à Frédéric et pouvant courir le risque d’être ouverts en route, tandis que les paquets politiques et secrets étaient expédiés par l’intermédiaire d’un homme de paille nommé Pertriset. Voltaire comptait pour l’extension de son rôle sur les facilités que lui créaient ces relations, et ce qui l’encourageait, c’est que ses premières négociations venaient d’avoir un résultat. A la sollicitation de Frédéric, Pitt avait consenti à ce qu’une proposition de congrès pour la paix fût déposée au nom de l’Angleterre et de la Prusse entre les mains des États généraux à la Haye. L’ambassadeur anglais en Hollande avait fait des ouvertures dans le même sens à l’ambassadeur français ; malheureusement les prétentions de l’Angleterre étaient exagérées et la France fut obligée de leur opposer une certaine résistance.

  1. Cette lettre est datée de Rote, 6 septembre 1757.