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nécessaire de juger, à la tournure de ses invectives, la conduite ultérieure que j’aurai dans d’autres tems à tenir avec lui ; ainsi je vous prie de me procurer de sa part un portrait injurieux en lui parlant de moi.

« Votre idée sur Schuvalow est bonne et très bonne ; vous nous rendrés service en en faisant usage ; je ne crois pas cependant que l’on ose dire à Sa Majesté Impériale de toutes les Russies les propos galans et pleins de sel et de finesse que le roi de Prusse tient sur elle, ni que messieurs les Russes, tout chambellans qu’ils sont, soient sensibles à ces fadaises ; mais, malgré la distance d’une injure au knouke, je crois que de votre part la connaissance de ces propos ferait plus de sensation que de la mienne ; et en tout cas, si cette connaissance ne fait pas de bien, elle ne fera pas de mal ; il faut convenir que, nous et l’Angleterre, payons pour notre querelle des spadassins bien extraordinaires ; mais il sera toujours décidé que les rois payés sont les polissons et non pas ceux qui payent. Je ne montre pas au Roi les grossièretés du roi de Prusse ; je les garde pour moi ; le bien de l’Etat doit éloigner l’animosité et ne faire voir que l’intérêt, mais je ne laisse pas ignorer à Sa Majesté et à Mme de Pompadour votre zèle français que l’on retrouve dans tout ce que vous faites, et je vous assure que je vois avec plaisir que le Roi y est sensible ; pour cela vous pouvés compter qu’elle vous aime beaucoup ; je n’affaiblirai pas ce sentiment, ma chère Marmotte, écrivés moi souvent ; aimé moi un peu et compté sur mon véritable attachement. »


Relativement à Tancrède, Choiseul n’avait pas gardé le secret promis. Sa négligence ne dut pas surprendre beaucoup Voltaire, qui s’en plaignit cependant à d’Argental : « N’avez-vous pas grondé M. le duc de Choiseul de ce que la Chevalerie traîne dans les rues ?… Il ne me paraît pas douteux à présent qu’il ne faille donner à Tancrède le pas sur Médine. On m’écrit que plusieurs fureteurs en ont des copies dans Paris : les commis des Affaires étrangères, n’ayant rien à faire, l’auront copiée… »

Recommander le secret à Mme de Pompadour et laisser le manuscrit à la merci de ses bureaux, c’est là un des traits qui caractérisent Choiseul, dont l’esprit ouvert et subtil s’accommodait mal des soins et même des simples précautions. Volontiers il abandonnait à ses suppléans le soin de suivre les affaires sérieuses, celles qu’il ne pouvait diriger selon le jeu de son