(Tancrède). Que faut-il donc faire, mon cher ange ? La donner à M. le duc de Choiseul, et que M. le duc de Choiseul la donne à Madame la Marquise comme un secret d’Etat. Elle fera ses observations… » Le 29 du même mois, revenant sur ce sujet, il écrivait au même : « … Il faut donner la maison (Tancrède) à Madame la Marquise ; il faut la confier à M. le duc de Choiseul et que, de ses mains bienfaisantes, elle passe dans les belles mains de son amie. Il voulait, disiez-vous, une tragédie pour pot-de-vin du brevet[1] : la voilà… »
D’Argental, qui servait d’intermédiaire entre Voltaire et Choiseul pour l’échange de leur correspondance, n’avait pas manqué de remettre au Ministre les lettres et la pièce ; peu de jours après cet envoi, Choiseul répondit :
« Je reçois, ma chère Marmotte, la lettre que vous m’avés fait l’honneur de m’écrire le 29 juin[2]. D’Argental m’a remis votre pièce Paladine, et je l’ai confiée ce matin à Mme de Pompadour, à qui j’ai demandé le plus profond secret ; j’espère que nous trouverons le tems de la lire ensemble ; je n’ai pas pu y jetter les yeux pendant deux jours que je l’ai eu dans mon tiroir ; ce ne sont pas les affaires qui m’en ont empêché ; ce sont, de par tous les diables, les importuns qui m’obsèdent et qui sans rien gagner me font perdre mon tems.
« Tout ce que je vois du roi de Prusse change en Polisson, puisque Polisson y a, le héros que je croyais appercevoir. Qu’est-ce que c’est que de vouloir se tuer pour des revers, et puis d’être avantageux et inconsidéré comme un petit-maître écervelé, qui sans esprit, dit de grosses injures ; ti, cela fait vomir et sent la mauvaise éducation germanique ! Il pourrait battre encore cent fois le médiocre Daun ou en être ? battu, car, tout médiocre qu’il est, il a battu deux fois Sa Majesté prussienne[3], que je ne mépriserais pas moins le roi de Prusse. Ne pouriés vous pas engager ce prince bien disant de vous mander ce qu’il pense sur mon compte ; je ne prétends pas par là lire des vers à ma louange, car je suis persuadé qu’il a de moi en tous genres l’opinion la plus méprisante, mais cependant il me serait