les vertus ; mais, sous prétexte de donner des développemens explicatifs, il joignit à l’ode une note complémentaire, dans laquelle il attaquait vivement les Jésuites et faisait l’apologie de la philosophie en défendant les philosophes. Choiseul, qui blâme la Note, ne dit rien du poème ; les louanges de la famille prussienne ne pouvaient lui plaire, et le silence dédaigneux qu’il garde à leur sujet n’était que simple représaille, puisque Frédéric, qui le tenait en grand mépris, ne se faisait pas faute de le persifler en prose et en vers. D’ailleurs, Choiseul devait être d’autant plus tenté de s’exprimer librement sur le roi de Prusse qu’il se savait assuré de trouver auprès de son correspondant un écho complaisant.
En effet, Voltaire, quoiqu’il eût consenti à reprendre sa correspondance avec Frédéric, n’avait nullement oublié son aventure de Francfort, cette odyssée épique qu’il nous raconte tout au long dans ses Mémoires ; et, quoique cette mésaventure dît déjà vieille de six années, il en avait gardé un ressentiment sur lequel il s’expliquait volontiers avec ses amis. C’est ainsi que, répondant aux dernières lignes de la lettre précédente, il écrivait à d’Argental, le 29 juin 1759 : « Je ne peux en conscience aimer Luc ; ce roi n’a pas une assez belle Ame pour moi. Il me semble que M. le duc de Choiseul le connaît bien. »
Cependant, tout en affectant mépris pour mépris, Choiseul ne laissait pas moins percer la préoccupation que lui causait la mauvaise opinion du roi de Prusse à son égard, car il s’en affectait, et d’autant plus qu’en son for intérieur il la sentait justifiée par ses insuccès politiques. Unie, depuis le 1er mai 1756, à l’Autriche par une alliance qu’une convention secrète avait confirmée le 30 décembre 1758, la France se trouvait engagée dans la longue, meurtrière et coûteuse guerre de Sept ans. Sacrifiant aux ambitieuses menées de Marie-Thérèse ses armées, sa marine, ses colonies et son crédit, elle soutenait une lutte continentale qui ne pouvait être pour elle qu’un affaiblissement de forces et un amoindrissement de prestige. Le grand ennemi, le roi de Prusse, pour entretenir ses armées et pour garder son royaume, avait signé un traité avec l’Angleterre, qui lui fournissait des subsides, trop heureuse de le voir occuper sur le continent une nation dont elle convoitait les colonies et dont elle voulait anéantir la puissance maritime.
Et, depuis trois campagnes, Frédéric se débattait contre les