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négociations destinées à renouer l’alliance de la France et de la Prusse et qui devaient rester secrètes. Il n’avait alors rien obtenu sans doute, mais, si les vues politiques dont il était l’interprète avaient été tenues en suspicion par le roi de Prusse, l’accueil personnel qu’il avait reçu avait adouci pour lui l’amertume d’un insuccès ; et le souvenir des avantages attachés à la position délicate, mais indépendante, du négociateur, l’engagea à mettre à exécution une idée, qu’il a qualifiée dans ses Mémoires de « plaisante, ridicule et bien digne du temps et des événemens. »

Il imagina donc de donner une suite au commencement de relations provoquées par les deux odes et d’en tirer parti pour une mise en présence des deux parties adverses. Peut-être, à la faveur de ce premier rapprochement, pourrait-il amener un échange de propositions capables de servir de base à la paix générale. Sous leur légèreté, ses expressions cachent mal la satisfaction qu’il éprouvait à s’ériger en arbitre des destinées du monde et en confident de deux puissans souverains. Il escomptait d’avance le profitable honneur de traiter familièrement le premier ministre d’un pays, qui lui était pour le moment moralement interdit. Son intervention, utile à la France, n’aurait-elle pas pour résultat d’adoucir les sentimens de Louis XV à son égard, sentimens hostiles aux philosophes en général et particulièrement à celui de Ferney ; dès lors, ne pourrait-il espérer, avec le temps, un rappel possible, dont il n’eut pas tiré grand profit, mais dont sa vanité se fut trouvée flattée ?

D’autre part, Voltaire avec lequel les grands esprits de la littérature et des arts se trouvaient en rapport, Voltaire devenu le centre des visées ou des intrigues des gens de cour et des philosophes, qui se disputaient la gloire d’occuper une place dans les registres de sa correspondance, Voltaire, offrant à Choiseul un échange de lettres suivi, ne pouvait manquer de voir accepter sa proposition. Correspondre avec lui, c’était compter parmi les amis du plus grand génie de ce temps et, ce qui devait particulièrement plaire au ministre de Louis XV, c’était s’assurer le concours du premier des trompettes. Il répondit donc à Voltaire et lui écrivit « plusieurs lettres ostensibles tellement conçues que le roi de Prusse pût se hasarder à faire quelques ouvertures de paix sans que l’Autriche pût prendre ombrage du ministère de France, et Frédéric lui en écrivit de pareilles dans lesquelles il ne risquait pas de déplaire à la Cour de Londres. »