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Lui qui, détestant les peines,
Au hasard remet les rênes
De son empire aux abois,
Cet esclave parle en maître,
Ce Céladon sous un hêtre
Croit dicter le sort des rois,


à ce passage si directement offensant pour la moralité du Roi, Palissot riposta par une attaque non moins directe à la moralité de Frédéric :

Jusque-là, censeur moins sauvage,
Souffre l’innocent badinage
De la Nature et des Amours,
Peux-tu condamner la tendresse,
Toi qui n’en as connu l’ivresse
Que dans les bras de tes tambours ?

Le dernier trait, particulièrement mordant, fait allusion à certain vice du roi de Prusse sur lequel Voltaire a si méchamment insisté dans ses Mémoires. On comprend qu’avec de telles armes, Voltaire eût pu, s’il l’avait voulu, engager entre les deux Majestés, celle de France et celle de Prusse, une guerre à coups de plume ; mais il n’eut pas été sûr de pouvoir en rester le modérateur et il trouva plus d’avantages à jouer le rôle d’intermédiaire pacifique. Il écrivit donc à Frédéric[1] une lettre de complimens, lui disant que son ode était fort belle, que les vers étaient certaine nient, les plus beaux qu’il eût encore lus de lui, mais que leur publication, inutile à sa gloire, deviendrait une nouvelle ; cause d’inimitié entre la France et lui, et rendrait alors toute réconciliation impossible. Du reste, ajoutait-il : « Ma malheureuse nièce, que cet écrit a fait trembler, la brûlé, et il n’en reste de vestige que dans ma mémoire qui en a retenu trois strophes trop belles. »

Avec ces complimens, Voltaire, suivant en cela l’avis de Choiseul, avait arrêté la guerre épistolaire naissante ; et, très avisé, toujours prêt à tirer profit du moindre service rendu aux puissans de la terre, il songea à étendre son rôle en transportant sa médiation sur un terrain plus solide que celui des invectives poétiques. Il se rappela les négociations que, sur l’ordre de Louis XV, il avait entamées en 1743 avec Frédéric,

  1. Le 19 mai 1759.