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le caractère vraiment diplomatique qu’il crut y reconnaître, il serait singulier qu’il les ait laissées disparaître. »

Pourtant Voltaire ne s’était pas vanté. Nous avons la bonne fortune de pouvoir lui rendre cette justice, car ses dires se trouvent confirmés par les lettres que lui écrivit le duc de Choiseul et qui nous sont heureusement parvenues. Elles établissent le rôle à la fois amical et confidentiel joué par Voltaire, devenu diplomate et missionnaire de paix entre la France et la Prusse ; elles nous fournissent encore, sur les événemens politiques et littéraires de cette époque et sur le caractère de Choiseul, des renseignemens d’autant plus précieux qu’on ne connaissait guère la pensée intime de ce ministre que par ses Mémoires de Chanteloup, publication posthume attribuée à Soulavie.

Les dessous de la diplomatie qui mit en mouvement l’Angleterre, la Prusse, l’Autriche, la Russie et l’Espagne y sont dévoilés dans ce style de franchise un peu cynique particulier au duc ministre ; elles révèlent les sentimens de la France à l’égard des Cabinets européens, amis ou ennemis, et forment un véritable chapitre d’histoire.

Copiées sur un cahier dont la reliure ancienne atteste la bonne origine, ces lettres n’étaient pas classées ; on ne saurait s’en étonner d’après ce que l’on connaît de l’esprit vif et brouillon de Choiseul ; en ce pêle-mêle, et presque toutes dépourvues de dates, elles n’auraient pas été faciles à mettre en ordre, si Voltaire, écrivant vingt lettres par jour et ne craignant pas de se servir pour sa correspondance avec les uns des phrases toutes faites trouvées dans les lettres des autres, ne nous fournissait des élémens de précision suffisans pour fixer avec certitude notre classement. Souvent aussi, certains passages des lettres de Voltaire forment pour les nôtres une sorte de commentaire explicatif et, pour cette raison, il nous a semblé utile de les y joindre.

Ainsi complétées, les lettres de Choiseul nous permettent de surprendre le jeu des intérêts qui se débattirent entre lui, Voltaire et Frédéric II, et ce n’est pas une des moindres valeurs de cette correspondance que de mettre en présence trois des plus grandes figures du XVIIIe siècle.


Le 12 décembre 1754, Voltaire arrivait à Genève, accompagné de sa nièce et de son secrétaire. Installé provisoirement au château de Prangins, et voyant ses tentatives de rappel à Paris