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combattue avec bravoure ; il a dû ses premiers succès et sa réputation de sainteté aux adresses de jongleur et aux artifices de charlatan grâce auxquels il recruta ses premiers fidèles ; son influence actuelle lui vient surtout de ce qu’il a été le chef de la dernière guerre sainte ; s’il devenait ouvertement le serviteur de la France, ou seulement s’il faisait un acte ostensible de soumission, il serait abandonné des siens et perdrait son prestige, très grand encore à Figuig et dans toute la région, où il est l’arbitre des partis et l’homme le plus écouté des oasis ; il serait obligé de se séparer des gens sans aveu qui lui font cortège et qui ont associé leur fortune à la sienne. Le marabout sait d’ailleurs tirer de celle situation ambiguë un excellent parti pour ses intérêts personnels : habile et souple, hypocrite et peu scrupuleux, en rapports d’un côté avec le Maghzen, de l’autre avec les autorités algériennes, il joue avec aisance ce double personnage : dernièrement il a loué ses chameaux à un entrepreneur de Duveyrier pour le ravitaillement de nos troupes du Touât, et sa protection les a préservés des pillards ; tandis qu’en même temps, à ses fidèles, il montrait sans doute les bénéfices de cette lucrative opération et se vantait de son influence auprès des chefs des chrétiens. Ainsi se prolonge une situation quelque peu équivoque, mais dont, à coup sûr, Bou-Amama tire plus d’avantages que nous et dont il n’a pas intérêt à faire disparaître l’ambiguïté.

Comme les bonnes dispositions de Bou-Amama envers nous, le rayonnement de notre influence dans le Sud-Ouest est variable ; il est en rapport direct avec notre force et avec l’usage que nous savons en faire. Notre politique doit donc tendre à y accroître notre ascendant et le nombre de nos cliens, à prouver que nous sommes à la fois les plus loyaux et les plus forts. Les incidens qui peuvent surgir sur cette frontière ne sauraient, dans tous les cas, être que de mince importance ; ils ne s’envenimeront jamais si personne ne cherche à les exagérer et si nous avons toujours la force et l’énergie nécessaires pour faire respecter nos droits, dussions-nous pénétrer à main armée dans les ksour de Figuig, quitte à les évacuer le lendemain. En attendant l’époque où la « question du Maroc » sera réglée, si elle doit l’être jamais, nous avons intérêt à prolonger, dans le Sud-Ouest, un provisoire qui dure déjà depuis 1845. Sans doute les officiers et les soldats que la France est obligée d’avoir dans la région soutirent de leur inaction et de leur impuissance à mettre fin à des déprédations