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incidens de frontière, du moins elle ne nous a pas lié les mains dans notre expansion nécessaire vers le sud[1].


II

Plus encore que les lacunes, volontaires ou non, du traité de Lalla-Marnia, plus même que la précision gênante de certains de ses articles, les tâtonnemens et les gaucheries de notre politique ont paralysé notre action dans le Sud-oranais : si Figuig est devenue, en quelque mesure, marocaine, il n’est pas exagéré de dire que c’est, plus qu’au texte de la convention, à notre manière de l’interpréter et de l’appliquer qu’il le faut attribuer.

Le méridien qui passe à Nemours, la dernière ville algérienne avant la frontière du Maroc, laisse beaucoup à l’est les oasis de Figuig. Le célèbre auteur de l’Histoire des Berbères, Ibn-Khaldoun, indique, comme limite du Maghreb-el-Aksa, la Moulonïa et l’oued Guir, c’est-à-dire une ligne située notablement à l’occident de Figuig. Avant l’arrivée des Français en Algérie, Figuig avait toujours vécu complètement indépendante ; jamais les Turcs n’y pénétrèrent ; et quant aux sultans du Maroc, l’on ne cite que deux expéditions envoyées par eux qui, par les cols de l’Atlas, y soient parvenues, sans d’ailleurs y laisser de traces ; en sorte qu’en 1845, au moment où l’acte de Lalla-Marnia le reconnaissait pour souverain de Figuig, jamais le sultan n’y avait établi d’autorité sérieuse et durable. Le traité constatait donc et légitimait un état de choses qui n’avait jamais existé. Figuig, centre berbère et où l’on ne parle guère que le berbère, était vraiment autonome et ne payait d’impôt à aucune autorité extérieure ; toute la région était hors du rayon d’action habituel des empereurs de Fez et de Marrakech.

Ce que ni le prestige religieux, ni la crainte des armes du grand chérif n’avaient pu faire, la crainte des roumis le réalisa : dès qu’ils connurent le traité de 1845, qui les faisait nos voisins, les nomades et les gens des ksour, craignant de voir bientôt les troupes françaises apparaître sous leurs murs, n’hésitèrent pas

  1. Disons ici une fois pour toutes que nous avons largement utilisé, au cours de cet article, les quatre volumes de Documens pour servir à l’étude du Nord-Ouest africain, réunis et rédigés par ordre de M. Jules Cambon, gouverneur général de l’Algérie, par MM. H. M. P. de la Martinière et le capitaine Lacroix. — L’excellent petit Historique de la pénétration saharienne, de MM. Augustin Bernard et le capitaine Lacroix (Alger-Mustapha, 1900), nous a été également un précieux guide.