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vraiment qu’il faut dire que tout est dans tout. « Les considérans d’un arrêt rendu dans une cause de mur mitoyen se trouvent contenir la sanction ou l’interprétation définitives des lois constitutionnelles. On appelle devant la Cour l’affaire du citoyen Hylton, qui refuse d’acquitter la taxe des voitures. Le débat va bientôt s’élargir et porter sur les pouvoirs du Congrès en matière d’impôts. La plainte d’un milicien réfractaire condamné à l’amende permettra au tribunal de traiter les plus hauts problèmes relatifs au droit de paix et de guerre[1]. »

Mais le point d’aboutissement seul est incertain et lointain, le point de départ est toujours certain et prochain. Cela peut aller jusqu’au droit pur, jusqu’à la philosophie politique, qui sait ? jusqu’à la métaphysique constitutionnelle ; mais cela part toujours du choc des intérêts de deux personnes en chair et en os, de la plainte d’un citoyen ou d’un État américain, et de la plainte formelle, judiciairement introduite, de tel citoyen ou de tel État. C’est toujours un procès de deux citoyens l’un contre l’autre, ou d’un citoyen contre un État, ou d’un citoyen contre la Confédération, ou de deux États l’un contre l’autre, ou d’un État contre la Confédération. Mais, l’incident devenant le principal, la loi au sujet de laquelle peut se poser l’objection d’inconstitutionnalité est alors une sorte d’accusée traduite à la barre de la Cour. « La Cour reconnaît-elle l’objection fondée, elle condamne la loi en refusant de l’appliquer, et donne raison au plaignant, quand même celui-ci aurait pour adversaires tous les pouvoirs publics réunis et l’opinion du pays entier[2]. »

Insistons-y, car il n’y a pas à chercher ailleurs le secret de la force et du succès de la Cour Suprême. Elle n’agit jamais de sa propre initiative, mais sollicitée, ni ne frappe une loi dans son ensemble par un grand coup, mais en détail et par petits coups répétés. Jamais elle ne s’avise de casser d’elle-même et en bloc un acte du législatif. Jamais elle ne conteste en théorie, et avant d’en être priée ou requise, ni le droit qu’avait l’exécutif de rendre ce décret, ni le droit qu’avait le législatif d’accomplir

  1. Duc de Noailles.
  2. Voyez le duc de Noailles, article cité, p. 574. — Dans les dernières années, on peut citer, comme arrêts importans de la Cour Suprême, celui par lequel elle a décidé que l’impôt sur le revenu était contraire à l’article de la Constitution sur la proportionnalité et l’universalité des taxes, et, tout récemment, les arrêts concernant les Philippines et Puerto-Rico. — Voyez, dans la Revue du 1er janvier, l’article de M. Pierre Leroy-Beaulieu, les États-Unis, puissance coloniale.