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physionomique. L’effet de lumière douce, répandue dans une salle close, y est rendu avec une délicatesse extrême. Tous les chevaliers, debout aux côtés du roi, coiffés d’un haut bonnet bleu ou noir, portent, par-dessus la robe d’azur ou d’incarnat, un manteau blanc doublé d’hermine, avec bande rouge sur l’épaule. Le roi, assis, est en même costume. A ses pieds, se tiennent deux grands chiens blancs, un lévrier et un dogue. La salle, voûtée de lambris en berceau, est à peu près celle où l’on voit, à Chantilly, chez le Pharisien, la Madeleine parfumer les pieds du Christ, mais plus simple, et sans décor ; au fond, un tableau de Saint Michel pourfendant le monstre a remplacé le bas-relief de chevaliers faisant une passé d’armes. C’est un document non moins précieux pour l’histoire que pour l’art.

Il en est de même du frontispice du Boccace où l’on assiste au procès, pour haute trahison, de Jean, Duc d’Alençon, au château de Saint-Georges à Vendôme, en août et septembre 1458. L’œuvre fut commandée au peintre, cette fois encore, par Etienne Chevalier et exécutée sur place. Sur cette petite feuille, qui n’a guère plus de 30 centimètres de hauteur, dans l’enceinte réservée sont assis, sous la présidence du roi, plus de 150 juges, magistrats, dignitaires, fonctionnaires ; devant les barrières se bousculent encore une centaine de curieux, bourgeois, ouvriers, paysans, difficilement contenus par les huissiers, grands gardes et massiers. Dans cette foule, pas une figure qui n’ait son caractère, pas une attitude, un mouvement, une physionomie qui ne soit typique. Les juges sont si ressemblais qu’on a pu les identifier presque tous au moyen des procès-verbaux, peintures, effigies tombales, etc. Des comptes de fournisseurs ont prouvé jusqu’à l’exactitude du tapis fleurdelisé qui couvre le plancher. Nulle sécheresse, pourtant, nulle confusion non plus dans cette scène grouillante où, chaque figurine, bien à sa place, calme ou agitée, est plus ou moins attentive à la lecture d’une pièce par le greffier. Ce magnifique en tôle fut certainement, d’un bout à l’autre, peint par Fouquet. Les quatre-vingts miniatures qui suivent sortent de son atelier.

Dans les Antiquités judaïques où, d’après une note de Robertet, bibliothécaire du Duc de Bourbon, Fouquet continua l’œuvre interrompue d’André Beauneveu, onze pièces sont de sa main. Quelques-unes peuvent rivaliser avec les feuillets de Chantilly. Néanmoins, çà et là, cette main hésite et s’alourdit ;