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Sainte Catherine, Notre-Dame, le Châtelet, le Palais, dans la Déposition de Croix, etc., etc.) ! Le peintre apporte le même scrupule à consulter ses carnets d’Italie qu’à consulter les spectacles étalés sous ses yeux ; une page des Grandes Chroniques de France nous offre une vue intérieure de l’ancienne basilique de Saint-Pierre, à Rome, l’une des plus exactes qui nous soient restées ; c’est là que, respectueux de la vérité historique, il fait couronner Charlemagne.

Les décors de Fouquet sont exacts et réels ; ses acteurs ne sont pas moins réels, ni moins exacts, car la légende, sacrée ou profane, ne lui est jamais qu’une occasion de faire vivre et agir les hommes qu’il connaît, les hommes de son temps. Courtisans et soudards, gens d’église et de robe, gentilshommes et bourgeois, ouvriers et paysans, comme il les a tous fréquentés, comme il les a tous analysés, avec la même perspicacité bienveillante, il les mettra tous en scène. La variété infinie des êtres l’intéresse autant que la variété des choses. Il est bien, sous ce rapport, le digne ami du Toscan Florio, comme il le fut sans doute aussi du Flamand Commynes, qui vivait dans le même cercle ; on peut imaginer des conversations singulièrement intéressantes entre ces trois bons physionomistes, lorsqu’ils revenaient ensemble du Plessis ou de Marmoutier. Aussi fin analyste des caractères dans ses portraits peints que l’historien diplomate dans ses portraits écrits, Fouquet, le pinceau à la main, néanmoins, ne s’en tient pas là. Pour la variété et la vivacité des couleurs, pour l’abondance des détails significatifs, dans les représentations de fêtes ou cérémonies, il veut encore lutter avec les chroniqueurs et les romanciers, ses contemporains, dont la richesse verbale est inépuisable, Olivier de la Marche, Martial d’Auvergne, Antoine de la Sale, etc.

Ce en quoi il se distingue toujours, parmi ces descripteurs, écrivains ou artistes, des mœurs françaises du XVe siècle, c’est le tact, naturel ou de culture, avec lequel il évite de tomber dans la grossièreté courante, de se laisser aller à la grivoiserie qui, chez quelques-uns, tourne si vite à l’obscénité. Ce Tourangeau, avisé et subtil, si foncièrement français, ne se repent jamais de n’être plus un gaulois ; il conserve toujours, sans aucun pédantisme, ni solennité, une gravité et une réserve dans la tenue qui révèlent à la fois l’honnête homme et l’esprit élevé. Aucune trace de sensualité brutale dans le plaisir visible qu’il éprouve à décrire