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signalaient simplement et brutalement le traître en l’asseyant, seul, à part, de l’autre côté de la table ; quelques autres se contentaient de lui mettre une bourse en main. Ici, au moment où le Christ prononce les paroles : « Celui qui met la main dans le plat en même temps que moi est celui qui me trahira, » Judas, qui est debout, son escarcelle à la ceinture, tend la main pour recevoir un morceau de pain que lui offre le Christ. Dans le Jésus livré à Judas, une scène admirable, où la clarté des étoiles, dans la nuit, lutte avec la clarté des lanternes, Fouquet ne manque pas d’introduire un épisode non remarqué par ses prédécesseurs, celui du jeune homme, nu, couvert seulement d’un linceul, qui suivait depuis quelque temps Jésus, et auquel, dans la lutte, on arracha ce drap. C’est dans saint Marc que le peintre a pris ce détail. Pour le Portement de Croix, il n’a pas manqué de choisir le moment où Simon de Cyrène prête, malgré lui, son aide au Christ, lorsque ce rustre, revenant des champs, est forcé, à coups de masses d’armes, par les soldats, de porter le pied de la croix. On pourrait multiplier les observations de ce genre à propos de presque toutes les compositions de la série et prouver ainsi dans quelle étude attentive et intelligente des textes le peintre, avec cette ingéniosité d’esprit littéraire qui sera celle de nos plus grands artistes, Poussin et Delacroix, recueillait certains élémens de vérité, de sentiment, d’action et de beauté.

Néanmoins, ce n’est point à cette conscience, ni à cette curiosité du lettré, c’est d’abord et avant tout, à la sensibilité de l’observateur et à la sincérité de l’artiste qu’il faut attribuer l’extraordinaire accent de vie et de vérité qui éclate, partout, dans ces scènes attendries ou dramatiques. En les plaçant parmi des décors réels d’architectures ou de paysages français, en donnant » résolument à ses acteurs des types et des costumes du jour, Fouquet, comme les Flamands, assurait à ces épisodes historiques une vraisemblance palpable et immédiate. Ce qui le met, toute fois, beaucoup au-dessus des Flamands, c’est l’aisance avec laquelle, au milieu de ces figures contemporaines, il fait mouvoir les personnages évangéliques (Christ, Saintes Femmes, Apôtres) dans leur costume traditionnel, le costume antique. De même qu’il opère, dans ses architectures, le mélange des souvenirs gothiques et des souvenirs classiques, avec un goût surprenant, de même il associe le hoqueton et la toge, les hauts-de-chausses et la tunique, la cotte d’armes et le manteau, dans le mouvement