Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 7.djvu/268

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les repeints, on la perçoit assez encore pour en constater l’ampleur et la force : c’est la technique d’un peintre vigoureux, en pleine maturité, celle-là même qu’on admire au Salon carré, sur un panneau moins délabré, le Portrait du chancelier Guillaume Jouvenel des Ursins (1400-1472).

Plus âgé de trois ans que son roi, peint vers la même époque, son heureux conseiller forme avec lui un singulier contraste. Gros et gras, le visage plein et vermeil sous sa calotte de cheveux ras, on dirait d’un bon moine réjoui, joignant les mains devant son lutrin, si la riche houppelande de pourpre à fourrures qui l’enveloppe, la somptueuse escarcelle d’or pendant à sa ceinture, les magnifiques lambris dorés, plaqués de marbres précieux, portant ses écussons héraldiques, ne nous annonçaient hautement l’importance du personnage. Guillaume est un dignitaire puissant, repu et sanguin, opulent, solennel, vaniteux. Fouquet lui en a donné, honnêtement et largement, pour ses écus ; si le chancelier a pu se mirer dans son image, les courtisans moqueurs l’y ont bien dû reconnaître aussi. Le style de cette figure si vivante est robuste et magistral ; la peinture en est chaude et riche. Il faudra bien du temps avant qu’on ne retrouve, en un portrait français, une telle vigueur de franchise. Avec son intelligence accoutumée des traditions, qu’il modifie sans les détruire, Fouquet a su, d’ailleurs, associer harmonieusement, a de fortes couleurs, les joyeuses dorures du Moyen Age, accentuant ainsi le luxe du milieu où s’épanouit son modèle.

L’or aussi est employé, mais plus discrètement et pour de simples détails, dans les deux panneaux qui formaient autrefois un Diptyque dans l’église de Melun. L’œuvre complète, souvent décrite, très admirée, resta en place jusqu’au XVIIIe siècle. Les peintures étaient alors encadrées dans une riche bordure de velours ornée d’orfèvreries et d’émaux peints, probablement semblables au médaillon du Louvre. À la suite d’aventures inconnues qui les séparèrent, l’une d’elles, la Vierge, entra au Musée d’Anvers, avec les collections Van Ertborn ; l’autre, Etienne Chevalier et son patron, achetée à Bâle, vers 1805, par M. Brentano, de Francfort-sur-le-Mein, n’est sortie de sa famille qu’en 1896, pour aller au Musée de Berlin, malgré plusieurs tentatives françaises pour ramener cette pièce précieuse à son lieu d’origine. De tout temps, la Vierge de Melun a passé pour l’image d’Agnès Sorel, la protectrice de Chevalier, qui fut l’un denses