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hélas ! (chose rare alors et que tous ont signalée comme une sorte d’innovation) une peinture sur toile, et la fragilité de la matière a pu hâter sa destruction. C’était aussi (chose encore peu commune) un assemblage de portraits, une vraie peinture d’histoire. Le Pape s’y présentait entre deux dignitaires ; tel on verra, quelques années plus tard, Sixte IV, entouré de ses quatre neveux, dans la fresque de Melozzo à la librairie Vaticane ; tel, au siècle suivant, Léon X avec deux cardinaux, dans le tableau de Raphaël. Etaient-ce des figures en pied ou à mi-corps ? Nous l’ignorons. Elles étaient sans nul doute de grandeur naturelle. La gravure, assez soignée, du XVIe siècle, qui circule dans les recueils de biographies pontificales, n’a reproduit que le personnage principal. On y voit Eugène, à mi-corps, de trois-quarts, le bras gauche appuyé sur une balustrade, la main droite reposant sur le poignet gauche ; il semble être debout. Son costume est tout à fait simple, de ceux qui plaisaient à Fouquet comme ils plaisent à tous les peintres physionomistes : calotte plate à liséré de fourrure, surplis uni, de linge, à petits plis ; col étroit et bas. Au-dessus de ce corps tranquille, la tête, forte et grave, s’enlève en vigueur, avec des accens très marqués dans les creux et saillies, les orbites, les sourcils, les ossatures, les rides et les veines. A travers la traduction fatalement infidèle, quoique sincère, d’un artiste postérieur, on reconnaît bien encore ce respect scrupuleux, cette étude attentive de la vie et de la nature qui attirèrent alors au Français l’admiration de ses émules d’Italie poursuivant le même idéal de vérité.

Des cinq panneaux retrouvés, deux sont au Musée du Louvre (le Roi Charles VII et le chancelier Jouvenel des Ursins), deux en Allemagne (Etienne Chevalier, au Musée de Berlin, Jeune homme inconnu, dans la Galerie Liechtenstein à Vienne), le cinquième au Musée d’Anvers (la Vierge et l’Enfant Jésus). Le Portrait du roi, au Louvre, est regardé, par quelques érudits, comme un spécimen du jeune talent de Fouquet, avant son départ pour l’Italie. Les petits rideaux verts, glissant, dans le fond, sur une tringle, encadrent, nous assure-t-on, trop mesquinement, trop prosaïquement, l’effigie royale, pour que ce futile décor ait été conservé par un homme revenant d’Italie. L’argument, à vrai dire, ne suppose ni une connaissance bien sûre de l’art toscan du XVe siècle où les accessoires de ce genre, topiques et significatifs, sont d’ordinaire scrupuleusement conservés, ni