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les grandes crises, tous les yeux étaient tournés vers Paris. Le grand conflit religieux qui divisait les puissances était traduit au tribunal de la France. Après de longues guerres inutiles, elle ne s’était pas prononcée entre les deux causes et s’était ralliée, la première, au principe de la tolérance. Sa neutralité faisait sa force. Le sort de l’Europe était entre ses mains.

On pense bien que, de leur côté, les adversaires de l’Empire, les protestans de Hollande et d’Allemagne et, surtout, le Palatin, élu récemment roi de Bohême, n’étaient pas restés inactifs. Le Palatin avait hésité longtemps avant d’accepter cette couronne de Bohême qui lui était offerte dans des circonstances si précaires. L’ambition le poussait : mais, si mince que fût son jugement, il ne pouvait se dissimuler les risques de l’aventure. Il consultait tout le monde. Son conseil même était partagé : cette grande résolution, qui allait ébranler le monde civilisé, se débattait entre quelques perruques et quelques jupes, au château d’Heidelberg. La mère du Palatin, cette touchante Loyse Juliane, le dissuadait : « ses larmes y effaroient ses pensées, et ses soupirs ses appréhensions. » Mais sa femme, Elisabeth d’Angleterre, le poussait, disant « qu’elle aimait mieux manger de la choucroute avec un roi que du rôti avec un prince. »

Enfin, il avait pris son parti et avait accepté. Comte palatin, chef de l’Union protestante et roi de Bohême, gendre du roi d’Angleterre, neveu du duc de Bouillon et du comte Maurice de Nassau, il devenait le lien vivant de toutes les oppositions contre la maison d’Autriche. Mais, non moins que l’empereur Ferdinand, il avait besoin de la France.

Aussi, il se hâta d’écrire au roi Louis XIII pour lui exposer les motifs de sa décision : il insistait particulièrement sur la nécessité où s’étaient trouvés lui et ses alliés de défendre « la liberté commune » contre les progrès menaçans de la maison d’Autriche ; il rappelait au Roi l’alliance qui, du temps de Henri IV, avait uni la France et les protestans d’Allemagne. Il réclamait conseil, appui, secours. Dans une lettre à Bouillon qu’il appelait « mon père, » il s’expliquait avec plus de confiance encore : « Je vous supplie de croire que cette résolution ne procède d’ambition ou désir d’agrandir ma maison, mais que mon unique but est de servir à Dieu et à l’Eglise… » Lui aussi, comme son rival Ferdinand, croyait à sa mission, tant la religion est indulgente aux passions humaines : « C’est une vocation divine