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nette et étroite comme dans la petite Flandre, sans des méthodes régulières et sans des théories raisonnées comme à Florence, ne présente aucun caractère d’unité dans la production, non plus que de progrès décidé et général dans l’évolution. Dans cette agitation perpétuelle, aucun centre scolaire n’a pu se former ; toutes les villes où l’on travaille ont des habitudes internationales. Sur les bords de la Loire, aussi bien qu’à Lyon et en Provence, les artistes italiens sont déjà mêlés aux artistes français ; on trouve, à Avignon, en terre papale, autant d’ateliers septentrionaux qu’à Dijon, capitale des ducs flamands, ou qu’à Angers, séjour du roi René, dilettante cosmopolite. Parmi cette foule de praticiens, la plupart nomades, les groupemens sont rares, l’indiscipline est de règle, la culture des plus variées, l’habileté fort inégale et assez souvent médiocre. Mais, si l’unité manque, en revanche, quelle abondance et quelle liberté dans l’invention, quelle spontanéité et quelle variété dans l’imagination, quelle franchise, quelle honnêteté, quelle gaîté dans l’observation ! C’est la dernière fois, chez nous, que l’art se manifeste encore, dans la vie quotidienne, comme une expression naïve, générale et populaire de la pensée nationale.

Des trois grands arts directeurs, auxquels se rattachent tous les autres, l’architecture, la sculpture, la peinture, c’est le dernier qui a le plus de peine à retrouver ses titres de noblesse ; ce malheur s’explique aisément. La peinture n’est-elle pas, de tous les arts, le plus délicat et le plus sensible, par conséquent, le plus exposé aux fluctuations du goût ? N’est-ce pas, en même temps, le plus fragile, celui qui, fixé sur des murailles humides ou des panneaux friables, reste, en outre, le plus constamment menacé d’une destruction totale par l’ignorance ou la brutalité des hommes autant que de fatales altérations dans sa matière même par le travail de l’air, de la lumière, des intempéries, des négligences ou des restaurations ? Peintures murales ou tableaux de chevalet, si nombreux alors, comme l’attestent les inventaires et les contrats, ont, en effet, presque tous disparu. Toutefois, pour connaître la valeur de nos peintres, il nous reste encore, à côté de trop rares panneaux ou toiles conservés, trois séries d’œuvres, plus souvent épargnées, dans lesquelles le génie français continuait alors de garder sa supériorité comme au Moyen Age : les tapisseries, les vitraux, les miniatures. Tous les peintres d’alors s’exerçaient à la fois sous toutes ces formes.