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pour obtenir, même par une générosité prodigue, une paix certaine en Afrique, et à apaiser les derniers sentimens de rancune qui y subsistent. » Il est douteux que l’argent suffise à cela ; il y faudrait toute une politique ; mais il semble bien que ce soit cette politique que lord Rosebery conseille et qu’il se déclare prêt à appliquer.

On peut mesurer l’importance de son discours aux cris de colère qui l’ont accueilli dans le camp conservateur et gouvernemental. Quant à sir Henry Campbell Bannerman et aux libéraux qui le suivent, ils doivent éprouver quelque surprise, après avoir fait un effort méritoire pour ne pas se séparer de lord Rosebery dans ses tendances vers la droite, de se voir obligés d’en faire un autre pour le rattraper vers la gauche où il s’est subitement porté. Il y a toujours du caprice dans l’esprit, d’ailleurs si distingué, de lord Rosebery : l’homme en est plus intéressant, mais le politique en est plus faible. Il est difficile à suivre. Nous ne savons pas s’il a trouvé la solution véritable du problème, et peut-être serait-il imprudent de croire qu’il se tiendra toujours à celle qu’il vient de proposer. Mais elle est un signe des temps. Pour qu’un homme qui ne se donne pas pour un idéaliste, et qui même, dans son discours de Chesterfield, a affecté de répéter qu’il se plaçait à un point de vue pratique, ait fait une évolution si remarquable, il faut qu’il y ait quelque chose de changé en Angleterre. L’impatience extraordinaire avec laquelle son discours était attendu, la fureur, mais aussi l’enthousiasme qu’il a suscités, enfin l’effet produit par un langage qui faisait table rase de tant de choses dans le passé et qui en proposait de si nouvelles pour l’avenir, tout cela est significatif. Nous ne croyons pas qu’il en résulte des conséquences immédiates, ni que la politique britannique en soit changée. Lord Rosebery ne s’est peut-être pas beaucoup rapproché du pouvoir, au moment où il se déclarait prêt à en accepter la charge ; mais ce qu’il a dit a été écouté avec avidité. On ne l’aurait pas supporté, et lui-même se serait gardé de le dire, il y a quelques mois. L’obstination avec laquelle ils prolongent la guerre n’est donc pas seulement un acte héroïque, c’est un acte politique de la part des Boers, car le temps travaille pour eux ; et tout fait croire, à la manière dont marchent les choses, que leur résistance durera encore longtemps.


FRANCIS CHARMES.


Le Directeur-Gérant,

F. BRUNETIERE.