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Dans son discours, comme dans ceux des autres orateurs libéraux, il faut distinguer deux parties : dans l’une, il parle de la méthode à employer pour atteindre le but, et, dans l’autre du but, lui-même. La première est plus remarquable que la seconde ; c’est celle où il est vraiment original. Il déclare formellement que, si l’on veut la paix, il faut la négocier en Europe avec M. Krüger. « Il se peut, dit-il, que ce soit un gouvernement discrédité, quoiqu’il ne soit pas prouvé qu’il l’est aux yeux de son propre peuple : mais c’est le seul gouvernement qui ait été en guerre avec l’Angleterre, et qui, en l’absence de tout autre, conserve encore quelques vestiges de son ancienne autorité. » Du coup, lord Rosebery supprime comme intermédiaires M. Chamberlain et lord Milner, car, si la négociation a lieu en Europe, elle sera conduite par lord Salisbury et par lord Lansdowne. Lord Rosebery est d’avis qu’il ne faut pas toucher pour le moment à M. Chamberlain et à lord Milner, c’est pour lui une question de dignité nationale. Il les laisse donc matériellement en place, mais il les supprime moralement. En même temps, il remet à sa place M. Krüger, que lord Roberts, lord Milner et lord Kitchener lui-même en avaient chassé par leurs proclamations annexionnistes. De toutes ces proclamations, il ne reste rien dans le discours de lord Rosebery. On y rentre dans la réalité ; on reconnaît l’existence ininterrompue des deux républiques, puisqu’on propose de traiter avec elles, en s’adressant à leurs représentans réguliers. Avons-nous besoin d’insister sur l’importance de cette suggestion ? Mais, si l’on en vient au fond des choses, c’est-à-dire à la paix elle-même et aux conditions qui la rendraient possible, la pensée de lord Rosebery est aussitôt moins précise. Il repousse l’annexion des deux républiques pour y substituer leur incorporation, distinction qui paraît un peu subtile et dont l’exacte portée nous échappe. Il demande pour tous les combattans l’amnistie la plus large, et l’octroi de droits chiques complets à tous ceux qui signeraient un contrat d’allégeance bien défini. Qu’entend-il exactement par là ? Nous ne cesserons de rappeler que les Boers combattent pour leur indépendance ; et, sous les diverses formules qu’on emploie, nous craignons qu’il n’y ait à cet égard un malentendu que tous les orateurs libéraux, depuis sir Henry Campbell Bannerman jusqu’à lord Rosebery, entretiennent plus ou moins. Mais, ce qu’il y a dans le discours de ce dernier, c’est un souffle généreux où l’on sent, avec le regret du passé, le désir de le faire oublier en le couvrant des réparations nécessaires. « Nous dépensons 125 millions de francs par mois pour la guerre, a dit lord Rosebery : j’aimerais infiniment mieux dépenser 125 millions par mois