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coup une multitude de réponses, comme si une véritable pluie de discours était tombée sur l’Angleterre. Nous ne parlerons pas de tous, l’espace nous manquerait ; mais il faut au moins signaler les plus importans.

Le premier en date a été celui que M. Chamberlain a prononcé, à Edimbourg, le 25 octobre : il portait les traces de la plus violente exaspération. Nous ignorons s’il a produit beaucoup d’effet en Angleterre ; mais, en Allemagne, il a provoqué une explosion de colères comme on en a rarement vu de la part d’un peuple contre un autre. On connaît l’art merveilleux qu’a M. Chamberlain pour blesser à la fois le plus grand nombre de gens possible : il n’en avait jamais usé avec une plus grande maîtrise, et il a trouvé le moyen, en une seule phrase, d’être désagréable à la Russie, à la France, à l’Autriche et à l’Allemagne. On se blase de tout : la Russie, la France et l’Autriche sont restées insensibles aux traits de M. Chamberlain, quelque acérés qu’ils fussent. L’Allemagne, au contraire, a jeté feux et flammes, et, d’abord dans les brasseries, puis dans les journaux, elle a écoulé contre l’Angleterre une lave brûlante de protestations indignées. Voici la phrase en cause ; quoiqu’un peu vieille, elle vaut la peine d’être reproduite comme un chef-d’œuvre du genre : « Je pense, disait M. Chamberlain, que le moment est venu, ou qu’il approche, où des mesures d’une plus grande sévérité deviendront peut-être nécessaires ; et, si ce moment arrive, nous pourrons trouver des précédens pour tout ce que nous pourrons faire dans la manière d’agir de ces nations qui critiquent aujourd’hui notre « cruauté » et notre « barbarie, » mais dont nous n’avons jamais imité, même par à peu près, les exemples, ceux qu’elles ont donnés en Pologne, au Caucase, en Algérie, au Tonkin, en Bosnie, et dans la guerre franco-allemande. » En France, nous n’avons vu qu’une chose dans ces paroles, à savoir la menace pour les malheureux Boers d’atrocités encore plus grandes que celles du passé : il nous a semblé assister à une torture où l’opérateur s’apprêtait à serrer les cordes davantage, à augmenter les poids ou à donner un nouveau tour de vis. Quant à l’offense dirigée contre nous, elle nous a laissés à ce point indifférens que pas un journal français, croyons-nous, ne l’a relevée. L’Allemagne n’a pas eu le même sang-froid : elle a la prétention d’avoir respecté toutes les lois de la guerre en 1870-1871. L’a-t-elle fait ? Ce n’est pas à nous à le dire, ni peut-être à elle. On pourrait nous soupçonner de n’être pas tout à fait impartiaux d’un côté comme de l’autre. Quoiqu’il en soit, son orgueil national s’est révolté contre l’outrage, et, l’indignation grandissant chaque jour, des