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aurait pour objet de célébrer purement et simplement le cinquantième anniversaire de la mort de Baudin : cela dispensait de donner une place d’honneur à M. Dausset. Et voilà comment le pauvre Baudin, qui avait fait si peu de bruit de son vivant, devint pour la seconde fois un embarras après sa mort !

Nous ne dirons rien de la cérémonie, quoiqu’on y ait dit d’excellentes choses. Tout le monde a été réconforté par la promesse qu’a faite M. Loubet que, quant à lui, bien qu’il n’eût pas prêté serment à la Constitution, il ne la violerait jamais. M. Fallières a parlé avec émotion du martyre de Baudin et des circonstances tragiques qui l’avaient accompagné. M. Deschanel, qui a eu un très vif succès personnel, a tiré de cet événement, et même de quelques autres, des leçons d’une haute portée politique. Il a dit, et M. Waldeck-Rousseau a répété qu’un événement comme le Deux-Décembre n’était pas une cause, mais un effet, et que, pour le bien comprendre, il fallait se reporter à la série de fautes dont il était la conséquence. Nous souhaitons que nos fautes actuelles, qui ne sont peut-être pas moindres que celles de nos pères, ne soient pas aussi sévèrement châtiées. Quant à M. le président du Conseil municipal de Paris, venu en simple invité, lorsqu’il a voulu prendre la parole, cinquante policiers se sont précipités sur lui, et la musique de la garde républicaine a étouffé sa voix sous l’éclat puissant de ses cuivres. On a compris alors pourquoi il y avait autour de la statue de Baudin cette grande accumulation de forces publiques : c’était pour empêcher plus sûrement M. Dausset de parler. On y a réussi : le gouvernement a eu le dernier mot. Il s’est retiré avec beaucoup de dignité, et la foule s’est écoulée avec quelque désordre. Mais la victoire du gouvernement n’a paru importante qu’à lui-même, et on a trouvé qu’elle avait été obtenue par des moyens hors de proportion avec le très petit intérêt qui était en cause, si même il y avait un intérêt quelconque en cette affaire.

Il aurait été plus sage de laisser le président du Conseil municipal parler après les autres. On a préféré lui mettre un bâillon, et même le malmener un peu : il est à craindre que Paris ne s’en souvienne au scrutin de mai prochain. La plupart des députés ministériels de Paris sont très menacés dans leur réélection, et les incidens qui se sont passés autour de la statue de Baudin n’arrangeront pas leurs affaires. C’est toujours une maladresse pour un gouvernement d’obéir à la rancune : ce sentiment mesquin n’a rien de politique. Quant à la population parisienne, elle ne fait plus d’émeutes. L’électeur a son bulletin de vote, et cela lui suffit : il attend sa revanche, sûr qu’elle ne lui