s’ennuient. Ennuyée aussi, mais éblouie par le voisinage de ces gloires, une jeune dinde veut tâter du théâtre ; on lui donne le nom d’un autre volatile, parce qu’elle va souvent rêver sur le bord de l’étang où une mouette rase l’eau : symbole facile des aspirations aventureuses qui tourmentent la petite provinciale. Elle entre au théâtre, elle y éprouve tous les déboires réservés aux actrices de peu de talent, et même à celles qui en ont beaucoup. Revenue à la campagne, jalousée par la grande comédienne à qui elle a voulu prendre le cœur vacillant du littérateur, Inna refuse d’écouter le fils de cette femme. Le garçon en tenait pour la Mouette, il va se tuer dans le jardin. Rien ne nous avait préparés à ce fâcheux éclat ; on a grand peine à épouser les sentimens de ces personnes incohérentes.
Je préfère l’Oncle Vania. Ici, du moins, un personnage bien conçu, fouillé avec soin, nous donne une forte impression de vérité. Sérébriakof, écrivain et professeur célèbre, a fait retraite à la campagne, lui aussi. Vieilli, podagre, quinteux, le prestige de ses succès lui attache une toute jeune femme et soumet à son despotisme des proches, des amis qui ne vivent que pour sa gloire ; entre autres, le frère de sa première femme, l’oncle Vania. Celui-ci a sacrifié son existence au grand homme de la famille, il a fait métier d’intendant sur la propriété dont il lui envoyait tous les revenus. M. Tchekhof a bien regardé dans le cœur de l’homme de lettres ; il a vu et mis en lumière toutes les maladies professionnelles qui nous guettent, l’égoïsme, la sécheresse, l’injuste dédain pour les simples d’esprit, l’ingratitude de l’enfant gâté qui accepte les sacrifices prodigués par ces simples à la royauté tyrannique de son talent. Le professeur en a vite assez de la campagne ; il se croit mal soigné par le docteur, grand abstracteur de quintessence, homme génial, au dire des dames qu’il subjugue en leur développant ses vues sur l’avenir de la société ; mais les opérations du docteur ne réussissent que lorsqu’il est ivre. Peccadille que la jeune Sonia excuse avec cet aphorisme : « En Russie, un homme de talent ne peut pas être pur. »
Donc, Sérébriakof veut retourner à la ville ; n’ayant pas d’argent, il propose ingénument de vendre la propriété. Elle venait de sa première femme, elle appartient légalement à Sonia, nièce de la défunte et de l’oncle Vania ; Sérébriakof profitait d’une indivision où toutes les charges étaient pour les autres, tous les bénéfices pour lui. À ce coup, son beau-frère se révolte ; la taie