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juste. Nous avons assez de renseignemens sur Ménandre pour savoir au moins qu’il a eu une immense réputation, une réputation égale à Sophocle. Il a disparu comme Agathon, Stasinos, Ibycos, Astydamas. Donc qui sait si Astydamas, sans avoir le mérite de Ménandre, je veux bien faire cette concession, n’avait pas un talent comme celui de Regnard comparé à celui de Molière ? Archiloque a été mis, par les anciens dont la voix nous est parvenue, au rang d’Homère, et il a disparu tout entier. Il est téméraire de conclure de son anéantissement à sa nullité.

Songez qu’Horace, qui s’y connaissait, mettait comme de pair Varius et Virgile. Virgile a subsisté, Varius a disparu. « Eupolis atque Cratinus Aristophanesque poetæ, » est un vers où il faut faire, cependant, quelque attention. Il doit signifier, à tout le moins, qu’Eupolis et Cratinus n’étaient pas absolument indignes d’être cités auprès d’Aristophane. Aristophane est resté. Eupolis et Cratinus ont sombré. Tout cela semble bien prouver qu’il y a du vrai hasard là-dedans.

Je reconnais que si Voiture avait disparu et qu’on retrouvât le vers de Boileau, critique autorisé :


Et qu’à moins d’être au rang d’Horace et de Voiture,


on conclurait, d’après mon raisonnement, qu’il y a eu un Horace au XVIIe siècle et que c’est un désastre qu’il ait péri. Je reconnais cela ; mais ma remarque subsiste, comme dit le grammairien légendaire. Il ne faut s’aventurer qu’avec discrétion à assurer que les gens qui sont morts n’étaient pas dignes de vivre, surtout quand il se peut qu’ils ressuscitent. M. Ouvré, qui a tout lu, a oublié le livre très spirituel et très sensé de son collègue M. Stapfer sur les destinées des livres et sur les Réputations littéraires.

Quelques opinions conjecturales du même genre, de la part de M. Ouvré, me chagrinent encore quelque peu. Il croit, par exemple, que la « comédie moyenne » et la « comédie nouvelle » furent plus intriguées que la comédie ancienne. « On devine pourtant que les péripéties furent alors plus variées que dans les bouffonneries des dikélistes. » Existe-t-il un texte, un seul, qui nous permette non pas de l’affirmer, non pas de le savoir, mais de l’entrevoir et de le supposer ? On le « devine. » Quel peut être l’emploi de la divination en histoire littéraire ? Plutus, la seule comédie moyenne que nous possédions, est-elle plus intriguée