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les Philippines. Les Samoa et Guam, les îles Hawaï même, sont trop petites pour que leur administration soit affaire d’importance. Quant aux Antilles, si elles étaient seules en cause, il ne fait guère de doute qu’elles eussent été, tout uniment, érigées d’abord en Territoires à la manière habituelle, puis bientôt en États. C’est assurément le sort qui les attend. Ces deux États ne différeront guère plus des autres que les États du Sud ne diffèrent des États du Nord ; ils auront sur les premiers cet avantage que les blancs, y formant les deux tiers des habitans, ne seront pas obligés d’avoir recours à la force, plus ou moins déguisée, pour gouverner, comme ils doivent le faire dans la Caroline du Sud ou le Mississipi où ils sont en minorité. De l’addition de deux États de culture latine, il ne saurait résulter d’altération profonde dans la vie politique et sociale de l’Union. Les Philippines, au contraire, ne peuvent être constituées en État, parce que les races sont trop profondément différentes pour qu’une vie commune soit possible. D’autre part, confier aux autorités fédérales le soin de gouverner indéfiniment, à l’aide de toute une armée de fonctionnaires, dix millions de sujets malgré eux, cela est contraire à toutes les traditions américaines, cela risque de modifier gravement le caractère de toutes les institutions des États-Unis. Mais ceux-ci ont-ils réellement besoin, pour dominer le Pacifique et avoir un point d’appui aux portes de la Chine, de posséder les Philippines, toutes les Philippines ?

Il semble que non. Gibraltar et Malte suffisent pour assurer la position de l’Angleterre dans la Méditerranée ; deux ou trois ports philippins, suffiraient à donner aux États-Unis une position des plus solides dans les mers de Chine, leur permettraient d’établir des points d’appui pour leurs flottes, des entrepôts pour leur commerce, dans le genre de Hongkong et de Singapour. Pourquoi ne se feraient-ils pas reconnaître seulement ces deux ou trois ports en ne conservant sur le reste de l’Archipel qu’un simple protectorat ? Si le président Roosevelt n’adopte pas encore cette politique. — les déclarations de son récent messager laissent subsister le doute à ce sujet, — bon nombre d’Américains croient et espèrent qu’elle s’imposera un peu plus tard à lui-même ou à ses successeurs pour le plus grand bien des États-Unis.


PIERRE LEROY-BEAULIEU.