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Lorsqu’un pays s’annexe des territoires où il existe des industries similaires des siennes, il y a toujours quelques perturbations dans celles-ci, surtout quand elles étaient fortement protégées ; aussi les gens qui en vivent gémissent-ils ; mais, quand le pays annexé est contigu au territoire national, ne fait qu’un avec lui, ils n’ont guère qu’à se résigner. Au contraire, si ce pays est éloigné, s’il se trouve dans des conditions physiques différentes, s’il est peuplé de gens d’autre race, si la main-d’œuvre y est à plus bas prix, les producteurs nationaux manquent rarement de se faire une arme de ces circonstances pour transformer leurs plaintes en revendications, pour protester contre une concurrence « déloyale, » pour demander qu’on remédie par des droits compensateurs aux « privilèges » que la nature a donnés aux producteurs des nouvelles possessions. Dans ce sanctuaire même du libre-échange qu’est Manchester, on a vu des récriminations de ce genre se faire jour à propos des fabriques de cotonnades de l’Inde ; en France, nos ultra-protectionnistes, faisant revivre le vieux système mercantile, érigent en principe qu’il ne doit pas être permis aux colonies de produire les mêmes articles que la métropole. Il n’est pas surprenant que les Américains aient cédé aux mêmes tendances.

C’est donc la question des conséquences économiques et douanières de l’annexion qui se posa en premier lieu. Sans doute il aurait été facile à un Président énergique et indépendant de faire bon marché des plaintes jetées par les quelques planteurs de sucre et de betterave, — cette dernière culture est toute récente aux États-Unis, — par certains planteurs de tabac, aussi, qui n’étaient même pas ceux des grands États producteurs, Maryland, Virginie, Kentucky, mais ceux d’un État du Nord, le Connecticut, moins bien placé pour soutenir la concurrence des îles. Négligeant tous ces intérêts, secondaires, en somme, ne se souciant pas davantage des craintes du trust de la raffinerie, qui voyait dans l’entrée en franchise des sucres porto-ricains une menace indirecte pour son monopole, il aurait pu s’en tenir à l’interprétation, jusque-là unanimement admise, de la Constitution et déclarer que le libre-échange entre tous les États et Territoires en découlait nécessairement. Mais d’abord l’indépendance ni l’énergie n’étaient le fait de M. Mac Kinley ; sous l’inspiration des politiciens de profession, il voyait dans les gens du Connecticut des électeurs fidèles ; il se souvenait que les trusts avaient