Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/928

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

possédons là-dessus un document caractéristique. Dietrichstein raconte lui-même que, la première fois qu’il vint à Schœnbrunn, son élève se refusa obstinément à comparaître devant lui. « Je ne veux pas aller au salon, criait l’enfant, parce que le gouverneur y est ! » On finit cependant par l’y traîner ; mais il se borna à toiser Dietrichstein du haut en bas, avec ses grands yeux pleins de mépris. « J’ai eu à supporter bien des impressions désagréables, — écrivait Dietrichstein dans son journal, au sortir de cette entrevue, — d’autant plus je me suis convaincu que je ne parviendrais à rien aussi longtemps que le prince ne serait pas entièrement livré entre mes mains. »

Aussi ne tarda-t-il pas à obtenir que le prince fût « entièrement livré entre ses mains. » Et ce fut lui-même qui, — cette fois sur la recommandation de Marie-Louise, — se choisit pour assistant, en qualité de précepteur de l’enfant, un officier tyrolien, le capitaine Foresti, homme de cœur et d’esprit, excellent humaniste, catholique fervent, et qui, en 1809, était sorti de l’armée pour ne point avoir à combattre ses compatriotes, devenus sujets du royaume d’Italie.

En 1816, le petit prince eut encore un troisième maître : Mathieu Collin, professeur d’histoire à l’université de Vienne, fut chargé devenir lui donner des leçons. Collin mourut en 1821, et fut aussitôt remplacé auprès du duc de Reichstadt par un ancien précepteur de l’archiduc Ferdinand, Joseph Obenaus, toujours sur la recommandation du comte Dietrichstein.

Or, un érudit allemand, M. Wertheimer, a eu la bonne fortune de pouvoir compulser à son aise tous les papiers laissés, après leur mort, par le comte Dietrichstein et par Joseph Obenaus : notes prises par eux au jour le jour, copies de leurs rapports quotidiens, lettres écrites à Dietrichstein par Foresti et par Collin, etc. Et, de ces papiers, dont on devine sans peine l’extrême intérêt qu’ils ne peuvent manquer d’avoir pour la connaissance du caractère du malheureux fils de Napoléon, M. Wertheimer nous offre aujourd’hui de nombreux extraits, — trop peu nombreux encore, à notre gré, — dans un livre où il a en outre utilisé une foule de rapports de police de lettres et de mémoires inédits. Son livre est un véritable répertoire de documens, petits et grands, se rapportant de près ou de loin à la vie et à la personne du duc de Reichstadt. Il complète sur bien des points, et corrige même ça et là, l’excellente biographie publiée, il y a quelques années, par M. Welschinger[1]. Mais, entre ses différens chapitres, le

  1. Le roi de Rome, par Henri Welschinger, 1 vol. in-8o, Plon, 1897.