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la substance du drame et nous fait apercevoir dans un vigoureux raccourci la situation des différens acteurs. Nous l’attendions. Elle précise ce que depuis longtemps nous soupçonnions. Nous nous doutions bien que Mme Royère était avertie de l’infidélité de son mari ; nous sommes trop habitués aux procédés du théâtre pour ne l’avoir pas deviné : au théâtre, quand nous voyons une femme mourir de consomption lente, nous n’admettons jamais que la cause puisse en être uniquement un mal physique, et nous voulons à toute force qu’il y ait à ce mal une cause morale : d’autre part, au théâtre, et même ailleurs, quand un mari nous répète à satiété que sa femme ignore ses incartades, nous savons ce que parler veut dire, et c’est exactement comme s’il nous prévenait qu’elle sait tout.

Il est fâcheux que le drame, qui se resserre et se résume heureusement dans ces quelques minutes, soit, le reste du temps, d’un dessin si flottant. L’auteur n’a pas su donner de centre à sa pièce. Il n’a pas su faire venir au premier plan ce personnage de Joujou, qui devait sans doute être le principal, et qui reste de facture indécise, de qualité banale. Le troisième acte, qui sert à récompenser Joujou par un mariage de raison, est sommaire, presque inexistant. Dans les deux premiers actes, beaucoup plus poussés, l’intérêt se concentre sur le ménage Royère. Il semble qu’on ait voulu nous intéresser au supplice d’une femme, et d’ailleurs sans y réussir. Car nous voyons bien que Mme Royère est malheureuse et nous ne refusons pas de la plaindre ; mais la pitié qu’elle nous inspire n’est pas sans quelque mélange d’un autre sentiment. Elle est mariée à un vulgaire don Juan : elle ne se fait aucune espèce d’illusions sur le compte de cet incorrigible coureur, convaincu d’égoïsme forcené et d’une espèce de manie érotique. Mais elle s’est fait un devoir de ne pas troubler la quiétude de ce pleutre et de ce libertin. Elle se fait une loi de n’attrister ni par un reproche ni par une plainte sa belle humeur et son inconscience. Pourquoi ? D’où vient qu’elle se tienne obligée de respecter les gaietés de son volage époux ? Nous sommes choqués pour notre part qu’elle fasse si bon marché de sa propre dignité. Et puisqu’elle continue d’aimer, tel qu’il est, ce bellâtre, c’est donc qu’elle l’a, elle aussi, dans le sang : le problème moral se résout par une explication physiologique. C’est un cas. Il est médiocrement attachant et d’ordre peu relevé.

La pièce de M. Henry Bernstein a été défendue par une interprétation de tout premier ordre. A force de naturel, de bonhomie, de rondeur, l’excellent Huguenot a sauvé le personnage par trop conventionnel de Le Certier, l’amoureux timide, l’oncle de toutes les femmes.