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je voyais en elles un dommage pour le sentiment chrétien. J’ai cru constater que les formes du culte, qui, bien adaptées au fond, sont salutaires, prenaient le pas sur leur contenu spirituel, menaçant d’étouffer l’esprit sous la lettre ; qu’on abusait maintes fois des choses saintes ; qu’on inclinait la foi vers la superstition. Alors, j’ai stigmatisé ces abus avec colère, et, cela, je le ferai tant que je vivrai, et que la religion chrétienne m’apparaîtra comme ce qu’il y a de plus saint au monde.

LE DOCTEUR. — Cela est maladroit de votre part, car on vous proclamera dangereux avec quelque raison, et l’on défendra aux fidèles la lecture de ces œuvres auxquelles vous donnez précisément pour but la propagation de l’esprit chrétien.

Ici, Pierre hausse les épaules et se tait.

Il y a bien des choses sous-entendues dans ce haussement d’épaules et dans ce silence : un aveu, un regret, une promesse d’avenir ? Rosegger a été, nous l’avons dit, fort attaqué dans le camp catholique, et nous n’hésitons pas à le proclamer avec son ami le docteur, il a souvent mérité de l’être. Mais il y a gardé pourtant des sympathies précieuses et de tenaces amitiés. C’en était un témoignage que l’intervention discrète, à la veille de son mariage, d’un prêtre bienveillant. Il a raconté aussi ses relations en somme affectueuses et cordiales, malgré quelques nuages, avec son compatriote d’Alpel, devenu curé dans le voisinage, et, par là, la première des gloires de ce hameau favorisé du ciel. N’est-il pas allé jusqu’à dire à cet ami d’enfance, en une heure d’épanchement sincère, qu’il serait heureux de voir son propre fils entrer dans les ordres, s’il en montrait la vocation, car lui-même avait toujours regretté les obstacles matériels qui l’en écartèrent jadis[1]. Est-ce là le langage d’un irréconciliable ? A l’en croire d’ailleurs, depuis quelques années, la polémique religieuse se fait plus calme sur son compte, et les voix malveillantes s’élèvent plus rares contre ses écrits[2]. Sans doute les plus évangéliques et les plus pondérés parmi les catholiques autrichiens en sont venus à partager sur Pierre Rosegger le sentiment des deux minisites de la religion qui semblent l’avoir le mieux pénétré dans son fonds : de ce curé d’Hauenstein, d’abord, qu’il alla voir lors de ses premières vacances universitaires, et devant qui, tout en dégustant son excellent vin, le jeune étudiant

  1. Mein Weltleben, « Urbain Offentuger. »
  2. Ibid., « Mes chers ennemis. »