Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/846

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

restreint, il lui faudrait, pour une étourderie, perdre cette auréole si douce à son front et déchoir profondément dans l’estime publique ! Voyez cependant ici le contraste entre les résultats de deux éducations différentes. Le second coupable, — qui l’était pourtant moins que le premier, car il n’avait été que le spectateur muet et non l’instigateur de l’injustice commise, — se sentit touché de la grâce au cours de la prière du soir, toujours faite en commun chez son père. « Tandis qu’ils répétaient sans cesse le Pater et l’Ave Maria, je me pris à les accompagner en murmurant sans interruption : « Cher Toni, pardonne-moi ma faute, c’est moi qui ai volé ton argent ! » Soit que Toni eût très sommeil, ou que, durant le rosaire, il pensât avec joie à son trésor déjà restitué par le larron, un certain temps s’écoula avant qu’il eût remarqué le texte singulier de mon oraison de ce soir-là. Enfin, il commença d’agiter la peau de son front et le lobe de ses oreilles, tourna lentement vers moi un visage terrifié, et cria soudain qu’il fallait faire silence pour laisser le petit continuer seul sa prière. Tandis que tous, stupéfaits de cette interruption insolite, se taisaient en effet, je me cachai en pleurant dans le coin sombre, et gémis tout haut : C’est moi qui ai volé l’argent ! Le rosaire fut terminé pour ce jour-là, les événemens se pressèrent rapides et énergiques vers un dénouement un peu rude, mais qui me fut en somme adouci par la pensée, que, de ce moment, l’honneur d’Hiasel était sauf. » Quel plus grand triomphe du sentiment de la responsabilité morale, et des prescriptions de l’honneur ?

Est-ce illusion cette fois, et trouvera-t-on le rapprochement forcé ? Nous avons cru rencontrer une impression du début des Confessions dans la sensibilité bizarre que révèle un des récits de Waldheimat, intitulé : Pour un mot du père. Le petit Pierre, rarement querellé par son père, éprouve de ces gronderies exceptionnelles un étrange sentiment de bien-être. Cette énigme s’explique pourtant un jour à ses yeux : il reconnaît en effet que ces réprimandes lui donnent seules une preuve sensible de l’affection et de l’intérêt que lui porte au fond du cœur un éducateur aimant, mais taciturne, et dont le caractère peu expansif ne trouve pas d’autre occasion de contact direct avec son fils que le reproche. On sait que Rousseau a éprouvé enfant, a porté jusque dans la suite de sa vie sentimentale, une sorte de volupté sous le châtiment quand il vient de qui l’on aime ; et une