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pour la connaissance de Rosegger. Si ce dernier est un admirateur des Confessions, c’est qu’il y contemple comme un reflet de sa propre personnalité ; reflet terni cependant, et nous tenons à le proclamer tout d’abord, car il n’entre pas dans notre pensée d’infliger au gracieux poète l’injure d’une identification avec Jean-Jacques. Une divergence fondamentale aiguilla différemment leurs destinées morales. Rousseau ne connut pas sa mère ; son père fut peu attentif à ses devoirs ; son éducateur dans l’âge décisif se montra brutal et antipathique à sa nature. Rosegger, au contraire, a connu des parens admirables et pénétrés du sentiment de leur responsabilité familiale, puis un maître honnête et bienveillant qui continua leur œuvre et lui permit de garder intact le trésor le plus précieux, le sentiment de sa dignité morale, que l’apprenti du graveur Ducommun avait laissé de bonne heure dans les ruisseaux de sa ville natale.

Cette réserve faite, remarquons que, déjà dans leurs souvenirs d’enfance, on constate avec étonnement des confidences presque parallèles. Tandis que les aînés de son atelier poussent l’apprenti genevois à voler à leur profit des légumes, un valet déshonnête prétend utiliser de même la faiblesse présumée du caractère du jeune Pierre, et lui faire piller pour son compte le tronc d’une chapelle isolée dans les bois[1]. On a lu chez Rousseau le récit du mensonge effronté qui fit chasser honteusement de sa place une fille de service honnête et sans reproches. Le jeune vaurien osa accuser en face cette infortunée d’une polissonnerie dont il était l’auteur, le vol d’un ruban « couleur de rose et argent, » et il soutint son imposture d’un front qui l’étonna lui-même. « Action atroce, » dit-il en propres termes, dont le poids demeura sur sa conscience ulcérée, et qu’il n’avoua qu’en gros à Mme de Warens, réservant la primeur des détails aux lecteurs de ses Confessions. Or, Rosegger nous conte[2] une anecdote singulièrement analogue au moins jusque vers la conclusion. Ayant caché par simple gaminerie, assure-t-il, un objet de valeur appartenant à un serviteur de son père, le grand Toni, il vit accuser du vol supposé un jeune valet de ferme, son camarade de jeux : il le vit maltraiter et chasser sous ses yeux, sans trouver tout d’abord en son cœur le courage de l’aveu. Quoi ! lui, l’enfant sage par excellence, le petit savant en matière théologique, déjà fort considéré dans son cercle

  1. Als ich jung noch war, « Quand j’allai vers Emmaüs. »
  2. Neue Waldgeschichten, p. 32.