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pour y chercher une impression littéraire, en avait rapporté un sentiment plus durable. « Quand le jour du mariage approcha, écrit le héros de ce roman vécu[1], je vis entrer un matin dans ma chambre un prêtre que je connaissais, et que je savais bien disposé à mon égard. Il était venu, dit-il, sans vouloir prendre place sur le siège que j’avançais, comme un pasteur à la recherche de son agneau égaré. A la vérité, il désespérait presque du succès de sa mission, car il savait combien vivement la presse catholique avait attaqué mes écrits. Que cette presse ait eu tort ou raison, ce n’était pas pour l’instant la question : mais l’Eglise et ma propre conscience n’avaient pas mérité en tous cas de payer pour ces feuilles trop zélées. Je n’ignorais pas sans doute, poursuivit le prêtre, que les sacremens de la Pénitence et de l’Eucharistie étaient utiles à la préparation de celui du mariage : or, il se disait tout prêt à m’épargner la course à l’église, où je pouvais craindre les observateurs malveillans, et à écouter ma confession dans ma propre chambre, ayant apporté à cet effet son étole. De grandes formalités n’y seraient pas nécessaires ; il suffisait de nous asseoir côte à côte, tandis que je lui ferais, comme à un ami, mes confidences. Puisque le jeune homme sur le point de s’engager dans les liens du mariage, dit adieu à son existence passée, il lui convient d’effacer les taches, qui, trop souvent, demeurent sur une vie de garçon. Le fiancé peut alors approcher sa fiancée d’une conscience plus légère, et l’union ainsi commencée sous l’œil de Dieu sera bénie par lui. — Telles furent à peu près ses paroles. Touché d’une semblable cordialité, je lui dis être très volontiers disposé à me confesser : mais j’ajoutai que je ne me croirais pas véritablement délivré du poids de mes péchés avant de les avoir avoués à ma femme, et reçu d’elle son absolution. Le visage du prêtre devint grave : il me fit encore quelques questions indifférentes, et se retira sans qu’il eût été de nouveau question de confession entre nous. Cela me fit une vraie peine qu’il eût pris mes paroles pour une marque de mésestime envers le sacrement. »

Ce malentendu est profondément caractéristique des dispositions religieuses de Pierre Rosegger : d’une part, justice rendue par lui à l’élévation d’âme des pasteurs dignes de ce nom, respect conservé au fond du cœur pour la religion de son enfance,

  1. Mein Weltleben, p. 51 à 56.