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de tempérament, encore une fois, et que chacun décidera suivant son caractère.

Notre écrivain trouva malheureusement par la suite un grief plus personnel contre la prédication exagérée de l’enfer. Et nous touchons ici à l’un des points douloureux de sa vie sentimentale, que nous oserions à peine aborder, si lui-même ne l’autorisait par la franchise digne et par la modération vraiment chrétienne avec laquelle il raconte ces incidens délicats[1]. Le pieux Lorenz Rosegger, dont nous avons dit les sentimens religieux, unique aliment de sa vie morale, avait redouté l’action délétère de la vie citadine sur la foi de son fils ; et l’événement semblait lui donner raison. D’autant que, Pierre l’avoue lui-même, il eut au cours de sa tardive évolution intellectuelle, une intransigeance, de néophyte dans l’expression de sa pensée mal assise, et une franchise excessive et brutale dans l’affirmation de ce qu’il appelait ses convictions nouvelles. En sorte que son père ne put ignorer le travail qui se poursuivait en cette âme inquiète. — Mais, déjà suffisamment prédisposé à en mal comprendre la portée et la direction, Lorenz fut encore égaré par des interventions indiscrètes qui ont laissé une profonde blessure dans l’âme du poète : « On persuada, dit-il, à cet esprit naïf, que ses enfans défunts gémissaient dans le feu du purgatoire, et que ce châtiment serait pour eux d’autant plus durable que leurs proches encore vivans se laissaient aller au torrent du monde, ou devenaient même des impies, au lieu d’accomplir de bonnes œuvres pour hâter leur délivrance. » Il est facile de se représenter les conséquences de pareilles insinuations sur une intelligence inculte et impressionnable. L’imagination troublée de Lorenz Rosegger lui fit dès lors entendre durant la nuit les gémissemens des siens, qui se voyaient maintenus dans un lieu de souffrance par les erreurs d’un frère, dont le vieux paysan ne comprenait nettement d’ailleurs ni le sens ni la portée. — Un abîme allait-il se creuser sans retour entre ce père trop rustique et ce fils trop mondain ? Cet abîme fut comblé par l’action apaisante du temps, et aussi, grâce à Dieu, par d’autres conseils plus chrétiens sur lesquels nous aurons à revenir. — Mais l’épisode était fait, n’est-il pas vrai, pour ulcérer plutôt que pour éclairer un amour-propre ombrageux ?

  1. Mein Weltleben. « Le premier et le dernier de la forêt natale. »