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autre chose en effet qu’un enfant irritable, dont l’inexpérience n’avait pas de bornes ? Il rendit donc raillerie pour raillerie, et ce malentendu regrettable fit pour longtemps un épouvantail, aux yeux du parti catholique, d’un écrivain religieux d’instinct, et même catholique, lui aussi, de sentiment et de désir ; malentendu que le temps atténue, qui disparaîtra peut-être entièrement quelque jour, s’il est permis de prévoir l’avenir, mais que d’autres griefs allaient tout d’abord aigrir et envenimer de part et d’autre.

En effet, après ces polémiques fâcheuses, Rosegger demeura durant de longues années ulcéré, incertain de sa voie, en lutte avec ses propres préférences, mécontent de lui-même, et par suite dépourvu d’indulgence pour les faiblesses d’autrui. Etrange attitude que celle qui fut imposée à cette âme mystique par les circonstances politiques ambiantes, et, — ajoutons-le, — par un défaut personnel de tolérance et de largeur de vues, au moins égal à celui de ses adversaires. Nous verrons plus tard qu’il ne s’est pas fait faute d’avouer lui-même ses erreurs de tactique et ses excès de parole. Il s’est conduit souvent vis-à-vis de l’Eglise de ses pères en enfant boudeur, partagé entre l’affection et le dépit, ne sachant auquel de ces deux sentimens obéir, et tantôt familier et caressant, tantôt blessant et maussade. C’est ainsi que, sans attaquer précisément le dogme en son essence, il a dirigé ses observations grondeuses sur la pratique de l’Eglise, et mérité souvent sans conteste les reproches et les anathèmes qui peut-être lui avaient été tout d’abord prématurément adressés. Signalons quelques-unes de ces objections, plutôt sentimentales que rationnelles, auxquelles il revient volontiers, et qui tiennent une si grande place en son œuvre.

Voici d’abord la question des châtimens éternels de l’enfer ; sans nier directement cet enseignement de sa foi, combien fréquemment il en a discuté l’usage et blâmé la prédication ! Comme nous avons eu l’occasion de l’indiquer déjà, nous touchons probablement ici au caractère fondamental de la race celto-germa-nique, trop tendre pour accepter facilement l’idée d’une punition terrible et sans appel. Que des puritains fanatiques comme un Carlyle, des Espagnols sombres et énergiques comme un Calderon, usent volontiers des menaces de la géhenne, cela est une conséquence de leur tempérament ; durs aux autres comme à eux-mêmes, leurs nerfs supportent sans peine l’image des tourmens