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par l’atmosphère chrétienne qui environna son berceau ; mais il avait l’intelligence éveillée, l’esprit ouvert, l’imagination vive, et, tôt ou tard, il devait chercher à se rendre compte de sa foi. — Tout ensemble mystique et « libertaire, » telle serait l’âme bretonne, au dire de ses familiers ; telle va nous apparaître aussi l’âme styrienne dans son représentant le plus autorisé.

C’est un malheur pour les meilleures causes et les plus divines institutions qu’elles doivent être défendues et interprétées par des hommes, créatures faibles et faillibles, en qui les passions parlent souvent plus haut que la raison et le devoir. Et, il est remarquable, quand on considère la vie morale de Rosegger dans son ensemble, que son premier doute et sa première objection soient nés d’une évidente imprudence dans la bouche d’un représentant de la religion. — « En 1855, dit-il[1] (il avait alors douze ans), nous eûmes un dimanche une instruction religieuse à Alpel. Le chapelain Gussmann de Krieglach y déclara que tous les hommes qui n’avaient pas reçu le baptême catholique perdaient l’éternité bienheureuse… J’accompagnai le prêtre à son retour au logis, afin de porter le paquet de ses vêtemens sacerdotaux. En route, le niais que j’étais alors ouvrit la bouche et dit : « Cela ne peut pourtant pas être, que Dieu damne tous ceux qui ne sont pas baptisés. Car Dieu est juste, et les Chinois ne sont pas coupables pour n’avoir jamais entendu parler de la foi catholique. » La réponse évasive et dédaigneuse de son compagnon de route imposa silence à l’enfant, sans l’éclairer davantage sur le fond de la question. — Et il semble bien que, sous la formule radicale employée par le chapelain de Krieglach, on ne saurait. Reconnaître l’enseignement officiel de l’Eglise, qui professe en réalité sur ce point une doctrine plus clémente, celle de la « bonne foi. » Une âme humaine peut être sauvée en dehors du catholicisme, pourvu qu’elle soit de bonne foi dans son erreur. La difficulté commence, il est vrai, dans la définition précise de cette bonne foi nécessaire au salut, et les avis autorisés sont divergens en ces matières. Mais, s’il est des cœurs dans lesquels on soit assuré de rencontrer tout à fait intacte la candeur de la conviction, ce sont assurément ceux des païens à qui l’Evangile ne fut jamais prêché, et qui en ignorent jusqu’à l’existence. — On ne saurait donc condamner l’étonnement d’une âme tendre

  1. Mein Weltleben, p. 404.