Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/824

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pouvoir, mais c’est aussi la science ; c’est la richesse, mais c’est aussi l’intelligence, venus pour s’incliner non seulement devant ce qu’il y a de plus humble au monde mais devant ce qu’il y a de plus naïf : un Enfant qui ne sait rien encore des hommes et qui pour cela, peut-être, les bénit. Après avoir fait le tour des sciences de leur temps, les sages en reviennent à adorer la confiance. Ils ont raison. La foi en la vie est le premier et le dernier mot de toute philosophie et celle qui ne la donne pas ne sert de rien à l’homme dont la condition première est, quoi qu’il fasse et qu’il pense, d’abord de vivre et pour cela d’imaginer quelque bien ou quelque but à la vie. Que cette fleur de foi ne puisse éclore que dans une épaisse forêt d’illusions, il est possible, mais ce n’est pas trop de tout l’or de Gaspar, de l’encens de Melchior et de la myrrhe de Balthasar pour l’obtenir au début d’une existence ou pour la recouvrer lorsqu’on l’a perdue.


III

Mais là où l’évolution est le plus sensible, c’est dans le surnaturel, c’est-à-dire dans les personnages du ciel qui se joignent, en cette nuit solennelle, à ceux de la terre : les anges. Ce sont, au point de vue plastique, les seuls personnages surnaturels du tableau. Le groupe divin, lui, n’embarrasse pas les peintres : il a des apparences toutes réelles. Il a été vu sous les dehors communs à toute l’humanité. Si la photographie avait existé de son temps, il aurait pu être photographié. Mais, autour de lui, se groupent des visiteurs venus de deux points très différens : de la terre et du ciel. Il les réunit, un instant, comme un hôte qui reçoit en même temps des amis de conditions sociales très diverses. Il les reçoit, au début de l’Art, sur un pied parfait d’égalité. Il arrive même, chez quelques Maîtres italiens, que les bergers ont le pas sur les anges avec lesquels ils sont confondus : chez Lorenzo Lotto les anges haussent leur menton par-dessus les épaules des bergers pour mieux voir. — Anges d’Hugues de Gand, c’est-à-dire anges costumés comme des évêques et couronnés comme des rois, qui ont passé à la sacristie avant de venir à la crèche, et qui ont ouvert les armoires où reposent les chapes brodées d’orfrois et s’en sont revêtus ; — anges de Benozzo Gozzoli pressés en bataillons, à genoux, leurs ailes droites mêlant leurs plumes à celles des paons, ou debout chantant en marquant la